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Extérieur jour ; sur une départementale bretonne, une voiture et sa jeune passagère de 17 ans, Cléo, manquent d’être balayées par une vague aux proportions titanesques. Nous sommes en 2083 : les villes du littoral ont les pieds dans l’eau, le poisson n’est plus comestible, le plastique est recyclé par des chalutiers. New-York a coulé, les Pays-Bas effacés de la carte. Animaux humains et non-humains s’adaptent pour survivre. Cléo s’adresse aux vaches, corbeaux, abeilles, orques et humains de la même manière. Elle ne fait aucune différence.
Camille Brunel nous invite à plonger dans les méandres de la mémoire et de la transmission posant sa caméra sur cette Bretagne qu’il chérit et ces phares, sentinelles qui brillent coûte que coûte. En faisant se croiser toutes sortes d’individus terrestres, marins et humains, il gomme la frontière entre les mondes. Le mystère et la fascination dont nous drapons le monde animal nous éloignent d’eux. Parler avec les dauphins comme l’on s’adresse à un vieil ami : voilà vers quoi nous devrions tendre. Est-il si nécessaire de connaître la psyché de nos frères et sœurs ? À quoi sert de sonder ce que nous connaissons déjà de nous ?
LE VIEIL HOMME ET LA JEUNE FILLE
Depuis la montée des eaux, la ville de Brest est le premier centre urbain de l’Atlantique, rattachée par un bras de mer au continent. Anciennement refuge face aux canicules, la côte est devenue une menace entraînant le retrait vers l’intérieur des terres. On y pilote un hydravion aussi aisément qu’une voiture. Sur le chemin de Cloé, il y a Isambard ce vieil homme de presque 100 ans, fin de vie sur fin de terre. Habitué au silence sourd de sa solitude, l’irruption tonitruante de la jeunesse le pousse à faire un saut dans le passé, lui le témoin de la ‘Grande Accélération’. Andromaque chatte blanche et Shelley lapin bélier, sont sa seule famille restée à ses côtés. Bien longtemps qu’il n’a pas parlé à sa fille.
Bien décidée à connaitre le monde d’avant et à mettre la main sur le récit biographique du vieil homme, Cléo ne laisse guère de choix à celui qui a, par le passé, sauvé un clan de dauphins. L’aventure peut commencer. « Mes souvenirs seront les tiens » murmure le vieil homme. L’exploratrice se plonge dans ce monde englouti et effondré dont elle n’avait jusque-là entendu parler que dans les cours d’Histoire.
« Elle commençait à comprendre ce qui s’était tramé dans l’esprit des gens du XXe siècle, ce qu’ils avaient pu attendre du futur, et les surprises qui les avaient attendus en retour ».
COMMUNICATION INTER-ESPÈCES : VERS UN NOUVEAU DIALOGUE ?
Dans ce monde qui se vide autant qu’il se remplit, Camille Brunel décide d’y distiller de la grâce, de l’espoir, une tendresse infinie pour les animaux et la mémoire de nos pères. Le tout nimbé de son humour irrésistible. Le savant mélange d’allers-retours dans la temporalité est subtil : le lecteur convié dans l’aventure est parachuté dans le futur alors que sa jeune héroïne replonge dans le passé.
« J’ai suffisamment vécu pour savoir que non seulement les animaux ressentent les mêmes émotions que nous, mais qu’ils y accordent aussi plus d’importance. Ils réfléchissent et ressentent, simultanément, sans rien diluer en parlant » nous confie Isambard. Oui le verbe dilue l’émotion, efface le ressenti, lui passe devant, ce qui fait de nous des humains doués de paroles certes, mais coupés de nos racines. À moins parler, on s’entendrait mieux…. Il y a 20 ans, l’homme était seul postulant au métier de gardien de phare ; sa garde rapprochée se limitait pour son plus grand bonheur à la chatte Phèdre et le dauphin Pan qui s’aimaient d’une amitié sans pareille dans tout le règne animal.
« Si les gens se figurent que les animaux ne peuvent pas communiquer, c’est avant tout par manque d’imagination ».
Le registre de mots humains serait-il aussi riche que ces ondes, clics, vibrations, feulements infusant le monde ? Pas sûr. L’animal est joyeux, curieux du moment présent: celui qui saura l’écouter, saura se faire comprendre… et entendre. Les corps diffèrent, les émotions se ressemblent. Un souffle épique traverse le roman à l’image de cette course poursuite haletante entre la dauphine Abysses et un clan d’orques chasseresse. C’est magnétique. Dans ce roman d’anticipation pour les jeunes, le monde pourrait être sombre. Or on y retrouve la force de l’ alliance interespèces et de l’écoute : tout le monde sur un pied d’égalité.
UN PHARE SOUS L’OCÉAN nous parle du temps qui passe et de ses précieux gardiens. La quête onirique à travers les fonds marins resserre les liens entre ces deux générations avec vue sur Mer d’ Iroise déchaînée. Plus personne ne s’étonne de la balade nocturne d’une baleine au-dessus des rues brestoises. Après tout, « L’océan épousait des crevasses qui avaient été des ruelles, des failles qui avaient été des rivières, des récifs qui avaient été des villes ».
Aujourd’hui, l’Océan redessine nos traits de côtes, les eaux montent. Dans un coin du Finistère la dune a cédé, les hommes n’ont pas trouvé de solutions à part celle de décider le rachat de sept maisons pour les déconstruire et renaturer l’espace. Il n’y aura rien d’autre que de l’herbe, sorte de zone de dissipation pour que l’eau n’aille pas plus loin.
Alors plutôt que de vous laisser rattraper par une marée de désenchantement, entamez le dialogue avec ce dauphin sorti de l’enfer de Planète Sauvage, il a quelque chose à vous dire.