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Les babines retroussées sur un sourire énigmatique continuent d’intriguer les primatologues. Soumission ou désir de plaire pour mieux embobiner l’autre ? Plaisir ou crainte avérée ? Dans toute son ambivalence, le chimpanzé témoigne d’une vie mentale complexe et d’une conscience de l’univers qui l’entoure, tissé de relations sociales imbriquées et indispensables à sa survie au sein du groupe.
Ce voyage ultra pédagogique au cœur de la conscience animale apporte un éclairage fascinant sur l’étendue des découvertes confirmant les intuitions audacieuses de Darwin. Métacognition, zoopharmacognosie, mémoire épisodique et nécrophorèse n’auront plus de secret pour vous. C’ est une réussite totale grâce à une mise en page aérée, moderne et bien articulée; le rouge et le noir se répondant pour dérouler une somme astronomique d’anecdotes rehaussées par des illustrations irrésistibles. La force de l’ironie ? Une porte d’entrée royale pour assimiler la connaissance. L’auteur Benoit Grison est biologiste, sociologue, docteur en sciences cognitives, enseignant-chercheur. Le dessinateur Arnaud Rafaelian participe à la revue d’histoire naturelle ESPÈCES. Les 2 se répondent en écho en convoquant scientifiques, biologistes, éthologues, zoologistes, linguistes, philosophes, psychologues évolutionnistes ou anthropologues.
La docte ignorance du peuple animal a eu la vie dure : petits ou très éloignés de notre espèce sur l’arbre du vivant, nous ne pouvions spontanément accepter leur souffrance et leur conscience d’être. En tentant de restituer l’émergence d’un champs scientifique novateur, l’ouvrage nous en apprend également beaucoup sur nous, animal comme les autres : il lève le voile sur un monde méconnu et nous entraine de l’autre côté du miroir. Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps ! Oui les animaux ont une conscience d’eux-mêmes et d’autrui, et ces 9 chapitres foisonnants ramènent le sapiens à plus de modestie.
Le cœur à l’ouvrage, l’animal utilise des outils et rivalise d’ingéniosité pour arriver à ses fins : dans cette optique il doit comprendre l’autre qui n’est pas de son espèce. Si l’alligator des bayous dispose des brindilles sur son museau, c’est pour mieux attirer les oiseaux en quête de matériaux pour les nids. Le milan noir d’Australie accroche des brandons de feu de brousse à son bec pour propager l’incendie ailleurs et débusquer de potentielles proies. Il est aussi question de planification et d’élaboration d’une stratégie quand l’imperturbable ours polaire projette un rocher sur le morse en contrebas, et le pulvérise en steack haché. Ce chimpanzé malheureux comme une pierre confiné dans un zoo de Suède, prépare minutieusement à l’avance un tas de projectiles à balancer sur les visiteurs. Certains oiseaux ont la bosse des maths : le Coucou gris pond dans le nid de la rousserolle, lui délègue entièrement l’élevage de ses petits, en ayant pris soin au préalable de s’assurer que la couvée qui accueille compte moins de 3 œufs. Sa propre progéniture sera ainsi mieux coconnée.
MIROIR Ô MON BEAU MIROIR
En 1970 par le biais du test de Gallup, des chimpanzés se retrouvent avec des taches colorées sur tout le corps. En se regardant dans un miroir, voilà qu’ils se contorsionnent dans tous les sens pour tenter de les effacer. C’est donc bien eux qu’ils voient, et non un autre ! Le reflet spéculaire provoque également un intérêt soutenu chez la raie mantra. Une autre forme de conscience corporelle existe chez le babouin olive du Kenya : lors de parades d’intimidation les mâles aux dents ébréchées baillent moins que ceux au sourire ultra brite. Mais en leur absence, ils se remettent à bailler avec la même fréquence ! Tous sont des animaux sociaux : pour se percevoir dans leur individualité il leur faut apprendre à reconnaitre les autres membres de leur espèce comme différents : on ne devient soi-même qu’à travers autrui.
Leurs jeux d’objets ou sociaux sont assimilés à des parodies de comportements fonctionnels, utiles à la survie. Parfois la distraction pure se suffit à elle-même à l’image de cette corneille qui dévale un toit sur un couvercle d’emballage, de ces dauphins faisant des ronds d’air, ou de ces colossaux gorilles des plaines jouant à chat. Le bourdon n’est pas en reste tout comme le crocodile, le rat ou le poulpe.
La théorie de l’esprit induit des conduites altruistes ou machiavéliques : si l’avocette simule une aile brisée pour abuser le prédateur et l’éloigner du nid, l’oiseau lyre australien – virtuose de la reproduction de vocalises – pousse des cris d’alerte anti prédateurs, immobilisant la femelle apeurée avec laquelle il est en train de se reproduire. Tétanisée, elle prolonge ainsi la copulation ! Les macaques crabiers qui volent des petits objets aux touristes en échange de succulents grains de raisin ou du melon, seraient adeptes du donnant/donnant. Pour ne pas dire chantage…
L’ animal médecin est attesté dans de multiples groupes zoologiques : le dauphin tursiops utilise le corail pour soigner ses affections dermatologiques alors qu’une éléphante enceinte peut parcourir jusqu’à 25 kms pour se gaver de feuilles qui l’aideront à accoucher. Aristote ou Rabelais et plus récemment Umberto Eco pensaient le rire comme le propre de l’homme : il n’en est rien ! Le rat émet un gazouillis à la fréquence ultrasonique de 50khz, c’est celui qui rit le plus fort qui sera le plus à même de mieux gérer les situations stressantes. Chatouillez donc un chimpanzé et il vous pulvérisera le tympan. 142 comportements de taquineries authentiques ont ainsi pu être observés chez nos parents proches. Homosexualité, activités auto-érotiques , le plaisir des 2 sexes est crucial pour l’évolution des espèces !
Le deuil ou la conscience de la mort ont donné chez les abeilles, fourmis, éléphants et corvidés, matière à repenser tout ce que nous croyions savoir sur la thanatologie. Longtemps, théologiens et philosophes ont cru l’animal enfermé dans l’instant incapables de projection. Les travaux sur la mémoire spatiale dynamitent tous ces vieux schémas de pensées. Les mémorisations sont tentaculaires chez le geai à gorge blanche, le chimpanzé et l’écureuil. Le colibri roux en quête de nourriture peut agiter les ailes avec une fréquence de quelques 70 battements par seconde. Hors de question pour lui de gaspiller des ressources en temps et en énergie ! Sa mémoire épisodique est imparable et son timing parfait.
La dernière convention de New York du 19 avril 2024 marque un tournant historique en pulvérisant nos idées reçues et en prenant acte de la présence avérée de phénomènes de conscience chez les vertébrés mais aussi les céphalopodes et les crustacés. Dans le corail de la vie si cher à Darwin, les êtres vivants sont tous semblables et tous singuliers. Un réseau d’interdépendances dont nous faisons partie. Raison de plus pour ne plus manquer de respect à tous ceux avec lesquels nous partageons terre, mer, forêts, prairies et airs.
‘LE SOURIRE DU CHIMPANZÉ’ donne matière à réflexion et à émerveillement. Une immersion salvatrice pour aiguiser nos perceptions de ceux avec lesquels nous partageons cette Terre. Une juste remise en lumière de fascinantes conduites animales dans un ouvrage indispensable, pour petits et grand. L’histoire évolutive de la conscience est très ancienne et s’enracine dans l’arbre du vivant. Mieux la connaître c’est mieux la préserver.