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Où étiez-vous quand Notre-Dame s’est embrasée ? Il y en a un qui s’en souvient bien, c’est Victor, pigeonneau né dans les hauteurs de la cathédrale. Le jour où le monde s’est ému du drame, lui, sachant à peine voler, a pris les ailes à son cou direction un futur semé d’embûches. Avant, il menait une existence bien paisible : se nourrir au lait de jabot familial, être bercé par le bourdon, tenter un premier vol timide vers le parvis ou glisser en catimini dans la charpente. La vie et la vue d’en haut, cela lui suffisait. Quand l’air est devenu irrespirable, il a donc fui à la recherche d’un nouveau clan. Porte-flambeau de la réhabilitation de l’oiseau gris argenté dans la ville, il mènera un combat acharné.
C’est ce que nous raconte Val Reiyel avec force engagement, humour et tendresse dans cet album jeunesse décliné en deux formats : une bande dessinée flamboyante et un roman qui fait la part belle au texte et donc à la sensibilisation autour du pigeon si chahuté et mal aimé. Un double format audacieux préfacé par Allain Bougrain-Dubourg , sémillant porte-parole devant l’éternel de tous les individus à plumes.

LE PIGEON, VAILLANT HÉROS DE GUERRE
AU 17ème siècle les excréments de l’oiseau sont utilisés pour fabriquer de la poudre. Durant la Première Guerre mondiale 40 000 à 60 000 pigeons sont mobilisés par l’armée française. Parmi eux, une légende – Vaillant – qui en juin 1916, quitte le fort de Vaux, alors encerclé, avec un ultime message attaché à la queue. Intoxiqué par les gaz, il volera pendant cinq heures pour atteindre Verdun. Il sera cité à l’ordre de la Nation et décoré de la bague d’honneur. Comme un soldat. Le temps a passé et l’oiseau est passé de noble héros à celui de « nuisible ». Avec l’arrivée des technologies modernes de communication, il est devenu inutile et a été abandonné. La consigne en ville est de ne plus le nourrir. Son espérance de vie en campagne peut aller jusqu’à 20 ans, en milieu urbain, guère plus de 5 ans. Les pigeons ont gardé dans leurs gènes cette familiarité avec l’humain qui les a si longtemps soignés et nourris : rejetés, ignorés, voire victimes de maltraitance, ils sont maintenant livrés à leur triste sort et doivent survivre dans nos rues par leurs propres moyens. Il n’est pas rare qu’une commune ordonne l’abattage direct.
Pour mettre en lumière les innombrables menaces qui pèsent sur notre héros, Val Reiyel nous embarque à 100 à l’heure dans une quête qui s’apparente à de la survie, le danger étant protéiforme. Voitures, agressivité des humains, trottinette, pics anti-pigeons, attaques de faucons, cheveux et fils qui tombés au sol s’entortillent et cisèlent leurs pattes en les atrophiant douloureusement. Pour recharger ses batteries, rien de tel que gonfler ses plumes, se mettre en boule et s’endormir en rêvant de la jolie voisine pigeonne aux reflets roux. Investissant plusieurs lieux différents, son âme d’artiste l’entraîne Place du Tertre à Montmartre. Victor provoque sa chance ne laissant jamais la peur l’envahir. Son objectif ? Être accueilli dans la majestueuse demeure du chef du clan du Sacré-Cœur.

LE SAUVAGE EN VILLE, MISSION IMPOSSIBLE ?
Pourquoi les humains font – ils cette distinction entre un animal de compagnie ultra chouchouté et un autre détesté sans aucune raison valable. ? Un questionnement fil rouge de ce revigorant album jeunesse. On dit le pigeon porteur de maladies ; remettons les choses à leur place. Bien sûr, ils ont des maladies. De pigeons. Comme tous les oiseaux et tous les animaux. Comme les humains aussi. On dit de ses fientes qu’elles dégradent la ville : certes elles ne sont pas très esthétiques mais elles ne détruisent rien. En revanche, l’acidité de la pollution par les microparticules est bien la cause principale de la dégradation des pierres de nos monuments.
L’écriture de Val Reiyel est fluide et ample, elle virevolte et nous porte loin dans la réflexion « Quand on obéit trop aveuglément, on perd son bien le plus précieux : la liberté ». Elle donne aussi de la voix aux pigeonnes qui s’émancipent ! L’alliance entre Marcel, peintre original n’ en faisant qu’à sa tête et l’audacieux Victor, va voler dans les plumes de nombreux clichés. Ces deux – là ne parlent pas le même langage mais se comprennent parfaitement.
La bande dessinée de 136 pages est féérique. En plus d’émouvoir, de surprendre, d’informer, elle sensibilise. En apprenant à connaître l’oiseau, on peut mieux le défendre. Sensible et intelligent il est quand même l’un des rares animaux à passer le test du miroir – se reconnaître dedans. Ce roman d’aventures fait voyager le corps et l’esprit. Paris vue du ciel dans une fable pleine de poésie, d’espoir, de tendresse et d’amour aux dessins ultra-gourmands. Drame, humour, tolérance : une grande aventure dans les lieux mythiques de la capitale attend petits et grands.
Après avoir rendu service à l’homme pendant des siècles, le pigeon souffre maintenant de mille maux Plutôt que de l’affamer, ou de le capturer et le gazer pour nous en débarrasser, nous pourrions vivre en harmonie avec lui. Il existe des solutions efficaces : les pigeonniers contraceptifs. L’association pinpon.pigeon sensibilise les passants pressés dans les rues de la capitale en libérant les pattes atrophiées des pigeons . Petit à petit l’attroupement prend forme et le message de VICTOR DE NOTRE-DAME au nom de tous les oiseaux urbains, se fait entendre dans un généreux roucoulement :
Respectez-nous pour ce que nous sommes : un peu de nature en ville, un cadeau.
Une chance.