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Au Moyen Âge les animaux considérés comme des êtres vivants créés par Dieu et donc dotés d’une âme capables de distinguer le bien du mal, sont reconnus responsables de leurs actes. Ils sont en conséquence jugés face à un tribunal. L’Église étend également ses excommunications aux rats, mouches, sauterelles, taupes et poissons. Diantre !
C’est la Bible elle-même qui justifie une telle pratique : « Si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on n’en mangera pas la viande, mais le propriétaire du bœuf sera quitte » (Exode, 21.28). Dans cet exercice, porcs, cochons et truies sont les plus souvent concernés, en raison du vice diabolique susceptibles de les habiter. En réalité, ces simulacres d’audiences servaient à maintenir l’ordre et à contenter les notables. En 1386 une truie coupable d’avoir dévoré un nourrisson est ‘habillée’ en femme puis exécutée sur la place publique histoire de donner l’exemple aux humains et aux cochons venus assister à un tel évènement.
De nos jours , admettre que les animaux ont une âme fait grincer des dents les cartésiens sceptiques. Un peu d’étymologie pour souffler un vent contraire : le mot animal vient du latin animalis, qui désigne un être vivant mobile dérivant d’anima, souffle ou air, un mot souvent traduit par âme.
Dans ‘LA TRUIE, LE JUGE ET L’AVOCAT’, nous sommes conviés à un procès qui fait grand bruit dans la cité suscitant curiosité malsaine et bas instincts. Une truie est accusée de trouble à l’ordre public ayant provoqué la mort d’un notable. Plusieurs témoins sont formels et ont sans hésitation reconnu l’animal. Nombreux sont ceux qui en appellent à la peine capitale. Mais un avocat déchu, mystérieux et retord, décide de renfiler la robe. Dans cette fable judiciaire aux accents satiriques Laurent Galandon et Damien Vidal s’en donnent à cœur joie avec force stéréotypes. Un juge décomplexé aussi cruel au tribunal qu’à la maison, une truie et son gardien désabusés, un avocat côtoyant les pavés et la misère, en caillette avec une corneille (entendez par là qu’il lui cause à l’oreille), un peuple avide de sensations fortes et altéré de sang. Une peinture sans concession d’une époque révolue et qui entre pourtant en résonance avec la société d’aujourd’hui.
Cette chronique judiciaire peu banale interroge notre rapport au bien et au mal et notre lien aux animaux. Pour les oies spectatrices et caustiques la définition d’un procès se résume à peu de choses ; « les hommes appellent ça la justice, une sorte de passage avant de revenir à la barbarie habituelle ».
Le verbe est haut en couleur, les expressions en vrac truculentes, le dessin un brin austère. « Quand l’homme s’excite c’est que la truie est cuite » murmure un rat perché dans les hauteurs de la salle du tribunal. A la croisée des combats il y a le féminisme, et l’antispécisme : la femme du juge et la truie du porcher subissent le mâl(e). Corneille, cheval, rat et chat forment à eux seuls une alliance inespérée contre toute forme incarnée de domination. Le jugement divise le peuple : rebondissements en cascade, vision manichéenne autour de cette truie qui ne comprend guère ce qu’on lui reproche et qui n’a qu’une hâte, retrouver ses porcelets. Guère de place pour la nuance dans cette bande dessinée qui fait mouche, en lice pour le Prix Maya 2025. Le scabreux pimente l’affaire et on pense immédiatement au regretté Jean Teulé qui n’aurait fait qu’une bouchée de cette affaire. Le récent film ‘Un chien à la barre’ nous interroge sur le statut que nous accordons à nos compagnons de vie. Trop ‘bêtes’ pour être considérés et pourtant jugés.
Début décembre à Strasbourg un procès fictif a enfiévré les bancs de l’amphi universitaire de la ville en remettant dans le débat les droits des animaux en France. Robert, gorille emblématique du zoo aurait attaqué un visiteur, le blessant grièvement. Quel sort la justice humaine va-t-elle réserver au primate ? Le procès se déroule en 2040, alors que la France a adopté une loi pour reconnaître la personnalité juridique « non-humaine » des animaux. Les animaux sont donc responsables pénalement, c’est l’objet de ce procès . Désormais doté d’une personnalité juridique aux yeux de la loi, le gorille sera-t-il condamné comme n’importe quel quidam à la barre ? Son statut de primate le dédouane-t-il de ses responsabilités ? Avoir des droits implique-t-il d’avoir aussi des devoirs ? Autant de questions qui invitent chacun à s’interroger sur le statut des animaux. « Non coupable ! » ont finalement décidé les jurés, tirés au sort dans l’assistance, au terme de leur délibération. « Nous avons retenu qu’il n’avait pas la possibilité de se rendre compte de ses actes, il a été considéré comme un enfant ou une personne fragile ». « Robert a déjà purgé sa peine : 15 ans d’emprisonnement dans le zoo, sans avoir commis de crime », avait plaidé la défense un peu plus tôt.
Un acquittement fictif, mais qui souligne la fragilité et le flou autour de l’animal. La loi française le place dans un état de lévitation juridique. Pas totalement un bien, pas totalement une personnalité juridique.
‘LA TRUIE, LE JUGE ET L’AVOCAT’ questionne notre rapport à la soumission, notre feu intérieur d’une révolte qui couve depuis longtemps et qui un jour explose. Par le truchement de la bande dessinée et donc du dessin, c’est notre conscience de lecteur qui se charge du reste. Notre sphère de compassion s’est élargie un peu plus. Ouf.