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En se glissant dans la peau d’un albatros amoureux ou d’un singe laineux, Camille Brunel entame ses 56 métamorphoses protéiformes pour nous parler d’animal à animal. Entre nous quoi. Sa langue virevolte comme un bourdon affamé de forêt-noire végane, butine dans chaque coin de notre cerveau où sont enlisées nos bonnes vieilles certitudes, dans cet ouvrage engagé et percutant.
A mi-chemin entre le bestiaire et le traité d’éthologie amoureux, il passe en revue ce qui a construit notre rapport aux animaux et ce qui fait que nous nous en sommes considérablement éloignés autour d’un seul et même fil rouge : repenser notre rencontre avec eux. « Les libérer c’est les remettre au centre, nets, précis, réels, exacts ». Fi ! Le flou mystique ! Pour raconter la merveille de les savoir si près, il suffit de les regarder enfin pour « occuper le même coin du monde qu’eux ».
Nous volons avec lui, nous plongeons, nous rêvassons la truffe à l’air ou nous mourons à petit feu derrière nos cages vides de sens. Couleurs, sons, tensions, émotions autant de mondes intérieurs sous une plume enfiévrée, galvanisée par la rencontre. Toujours cette même urgence qui traverse ce livre : à ce jour, peut-être son plus clivant .
L’ANIMAL : UNE PERSONNE CONSCIENTE
A Cambridge, New-York ou Montréal en passant par Toulon, les Déclarations du même nom réunissant experts en tout genre et juristes, nous autorisent enfin à le dire : les animaux sont comme nous. Mammifères, oiseaux, reptiles, poissons jusqu’aux insectes, possèdent des états conscients et une capacité à se livrer à des comportements intentionnels. Certes toutes les consciences ne se valent pas mais de Samburu à Rovaniemi, les animaux savent qu’ils existent.
Ces précieux sésames ont un rôle essentiel : nous guider au mieux auprès de cette foule qui pour le Parti animaliste, mérite des droits : les animaux sont aussi des citoyens. Certaines victoires au sein des tribunaux leur redonnent enfin une personnalité juridique. En Argentine la femelle orang-outan Sandra est entrée dans l’Histoire en devenant le premier animal captif à voir son besoin de liberté reconnu. Charles Darwin a lui, pulvérisé l’univers anthropocentré du christianisme et déconstruit notre relation au cosmos par un argumentaire scientifique et non plus philosophique. Le mythe de la suprématie de l’humain vole en éclats.
L’HÉRITAGE D’UN SPÉCISME ORDINAIRE ET OMNIPRESENT
Envisager les animaux par le prisme biologique et non psychique, nie toute intériorité que nous peinons à leur accorder. Pourtant ils nous ressemblent quand cela arrange nos intérêts les plus fourbes : les animaux de laboratoires terrorisés dans le noir, loin des yeux, dans un silence assourdissant et aseptisé, le savent mieux que personne. Par contre, quand l’heure de la morale sonne, macaques, souris, chats et chiens ne sont bizarrement plus comme nous. Cette indécision, ce flou loin d’être artistique nous fait perdre un temps précieux. L’auteur pointe du doigt l’influence douteuse de certains documentaires animaliers qui sous couvert d’objectivité scientifique n’ont fait que creuser une césure déjà profonde en nous déconseillant de croire que les animaux pouvaient être comme nous. Les médias passent sous silence les morts animales lors de conflits et pourtant sentir la terreur à travers les vibrisses et non les doigts, n’est-ce pas la même chose ? A ce moment précis, 2 mondes se cognent, l’épouvante est la même.
Camille Brunel n’a pas de langue de bois, sa plume (pas d’oiseau) s’attaque à déconstruire nos schémas de pensée stériles pour une remise en question fondamentale. On dit bien « un être humain », pourquoi pas « un être blaireau » ou « un être panthère des neiges » ? Repenser notre syntaxe c’est changer de paradigme.
UNE NOTION DE ‘NATURE’ PAS SI CHOUETTE
La nature serait un concept fourre-tout et à double tranchant qui gommerait territoires et habitats remettant insidieusement l’humain au centre de tout. L’essayiste et militant Yves Bonnardel préfère plutôt la notion de réel, de monde. Il y a un siècle, 84% des espaces de notre planète étaient inviolés, en 2024 ils sont réduits à peau de chagrin avec un accablant 23%. Les humains sont 4 fois plus nombreux et les animaux sauvages 10 fois moins présents. « Il faut se méfier des termes et images qui rendent abstraite l’urgence absolue dans laquelle se trouvent les animaux contemporains » nous rappelle l’auteur.
Lors d’une rencontre, notre lien au conscient compte autant que notre lien au vivant. Les émotions d’un animal sont les nôtres, et vice-versa. Comprendre cela, c’est les rendre visibles. Sensibilité, mémoire, langage métacognition, conscience des autres et donc de soi ; c’est ce que l’on nomme la sentience. Camille Brunel nous a habitué à une écriture fiévreuse, cinglante, parfois, ultra-poétique dans l’urgence de changer de réalité. Dans ce dernier opus, il ose encore plus, il prend position sans heurter, ce n’est pas le but. Ou peut-être si et tant mieux : l’essentiel n’est-il pas de se questionner ? Et surtout de ne plus avoir peur de nommer des choses simples.
Nos émotions nous les devons aux animaux alors faisons leur cette grâce de toujours les garder dans le viseur de notre indéfectible émerveillement et reconnaissance. Reste à ne plus jamais douter de leur intelligence. La mésange a une densité de neurones qui ne relève pas de la magie tout comme les interconnexions chez la fourmi. Rien que de très banal. Ce qui est vertigineux c’est de le découvrir chaque jour un peu plus.
C’est à nous humains qu’appartient le devoir de défendre activement le règne de conscience sur cette planète. « C’est en nous souvenant que les rongeurs peuvent rire que nous prendrons garde de ne plus semer de poison partout » pour réinventer une cohabitation interspécifique pacifique. L’auteur parle « d’écologie de l’éthologie ».
En faisant parler tour à tour l’humain et l’animal qu’il est, l’émerveillé Camille Brunel nous tend un miroir. A nous de repenser ce monde en prenant garde cette fois ci non plus de voir, mais bien de regarder, tous ces fronts pensants recouverts de poils, de plumes, ou d’écailles. Les yeux dans les yeux. En déconstruisant nombre d’idées reçues, en bousculant, il provoque : seul levier pour nous sortir d’une torpeur profonde. Que le prince se transforme en crapaud ou le contraire, il faut se réveiller.
Cette rentrée scolaire a vu fleurir un nouvel axe d’apprentissage pour les CP : aborder la question du respect dû aux animaux de compagnie. Les enseignants sont invités à initier les élèves « à comprendre le respect qui est dû à l’environnement et au vivant, aux espaces familiers aux espaces plus lointains, qui sont des biens communs ». L’éthique animale fait son entrée dans les cœurs des petits. Futures graines d’éclaireurs pour nous aider à faire toute la place aux animaux.
« JE EST UN ANIMAL » bouscule nos consciences endormies et questionne constamment le lecteur. Un ouvrage sans filtre qui pousse à une réflexion franche. Cette ironie mordante ourlée d’une ultra sensibilité à la beauté animale qui occupe le devant de la scène, fait de chacun de ses écrits une mini-révolution, une patte de souris dans une porte. En faisant fi de tout consensus et en nous poussant dans nos retranchements, il cherche le dialogue. En adoptant un regard volontairement décentré pour atteindre une perception augmentée, il nous livre ici un ouvrage terriblement inspirant pour enfin respecter nos pairs en nous proposant une rencontre bouleversante avec cet autre ‘je’ , qui n’est autre que nous-mêmes.
Retour à la simplicité.