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Il était un fois un louveteau affamé et sans famille qui errait dans la station de ski de Valberg dans les Alpes-Maritimes. L’animal s’approchait uniquement de l’humain pour se nourrir, sans se douter du raffut émotionnel et médiatique qu’il allait déclencher.
Aperçu en octobre 2019 il ne cessera jusqu’à sa disparition d’alimenter rumeurs, obsessions, craintes et fantasmes. Après 2 ans et demi d’enquête, Pauline Briand nous surprend avec ce conte moderne hybride à mi-chemin entre l’enquête journalistique et quelques détours par la reconstitution issue de conjectures ou de recoupements. Un ouvrage passionnant et instructif qui donne la voix à tous ceux qui ont aperçu de près ou de loin cet orphelin opportuniste ; ce beau loup.
TOUT EST QUESTION DE DISTANCE
Le problème dans cette odyssée lupine n’est pas tant l’animal que la réaction de l’humain à sa présence. L’homme approche le sujet en le tenant à distance. L’animal suscite le meilleur et le pire. De la haine farouche à la fascination en passant par un désir sincère d’aider l’individu. Les amoureux du canis lupus italicus sont nombreux, ses opposants aussi.
Avec ces grandes foulées et son trot vivace et malgré la peur et la désorientation, VALBERG ne cesse de tourner autour des cabanes à chat en chipant quelques croquettes. Poussé par la faim, il va en ville, de jardin en jardin, traverse les haies, rampe, se faufile pour franchir les barrières et les clôtures, emprunte les chemins. Sur le bitume ses pattes sentent les vibrations des voitures, il rentre sa queue, baisse les oreilles et souffre des épines, de l’eau et du froid : sa fourrure ne fait plus écran rongée par la gale. Rester à distance ou s’approcher, craindre ou ne pas fuir, tel est son dilemme quotidien. Il n’aura d’autre choix que de consentir une forme d’alliance avec l’homme pour survivre.
Amoché avec sa silhouette dégingandée, il devrait être en train de croquer de la chair crue au sein de sa meute, véritable organisation familiale soudée qui lui aurait appris à toujours se tenir à distance respectueuse des humains et à les craindre. La grande plasticité de l’espèce aura conduit VALBERG à flirter dangereusement avec le monde des bipèdes, juste par intérêt. Et nous aussi par intérêt, nous l’avons laissé faire. La charge symbolique est très forte. « Il y a quelque chose d’exaltant à rentrer dans l’intimité d’un animal si élusif » racontent des guides de montagne.
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
VALBERG s’inscrit dans une lignée : la meute du Mounier historique sur la région et vivant sur un territoire d’à peu près 200 kms. Au fil du temps le plan national d’actions sur le loup aura considérablement assoupli ses conditions de tirs avec une durée d’utilisation rallongée. Résultat, en juillet 2019 le % de prélèvement était de 19 % soit un abattage légalement autorisé de 90 loups. Ce louveteau orphelin errant et désorienté est le résultat d’une gestion désastreuse de la prédation par l’État ployant sous l’exigence des lobbies. Un jeune éleveur s’interrogera sur la pertinence de ces prélèvements : la mort d’individus ne va-t-elle pas changer les habitudes de prédations ?
VALBERG sera capturé puis transféré vers un centre de soins pour faune sauvage pendant 9 mois et ce, dans la plus grande discrétion. Son soigneur mystérieux a une connaissance et un respect intime pour les bêtes : sorte d’altérité pensée et vécue. Ses soins n’érodent en rien l’animalité de celui qui conservait une chance à la liberté. Le jeune loup sera remis dans la nature avec un collier GPS : une première en France ! La nouvelle du relâcher sera longtemps tenue secrète pour ne pas affoler les foules avides de sensationnalisme stérile autour de la bête.
UN LOUP QUI DÉRANGE … ET POURTANT
En s’endormant dans des champs de lavande l’estomac rempli de myrtilles et la queue sur le museau pour garder sa chaleur corporelle, VALBERG ne se doute pas des voix de plus en plus fortes qui s’élèvent contre le seul fait même de sa présence dans ces reliefs qu’il parcoure inlassablement et abondamment, jusqu’à 6 kms en une heure. Son tracé GPS ressemble à une pelote de laine difficile à démêler. Le tracé est dense. « Il progresse le long des courbes de niveau ()pour s’économise. Il colle au relief, rentre dans les cirques, longe les parois rocheuses, associe son pas au tracé des ruisseaux, passe les cols, parfois aménagés par les humains, et traverse les rivières en prenant les ponts ».
Un jour le collier GPS sera retrouvé intact sans l’animal qui semble s’être volatilisé. Le mystère du loup de Valberg s’épaissit. Au fil de ses rencontres Pauline Briand a tendu l’oreille à tous ceux qui se sont investi dans cette histoire. Sans distinction et sans jugement. Vétérinaires, représentants des organisations agricoles, chasseurs, associations de protection de la nature, éleveurs, Office Français de la Biodiversité, naturalistes, bergers, chercheurs. De nombreux médias auront couvert l’histoire. Une disparition qui aura fait couler beaucoup d’encre, signe ambigu d’empathie et de peur mêlée. « Un soupçon de familiarité avec les humains pèse sur celui qui a été nourri de croquettes pour chats, puis soigné. Il porte également la potentialité de prédation sur les troupeaux domestiques : cette fois ci, c’est sa lupinité qui en fait un individu à surveiller ».
Les Éditions GOUTTE D’OR publient des livres d’immersion dans la lignée du journalisme narratif anglo-saxon en abordant des sujets de société par le prisme d’histoires marquantes. ‘LE LOUP DE VALBERG’ était en lice pour le prix littéraire 30 Millions d’Amis. Pas étonnant au vu de la qualité d’écriture et le travail intense d’investigation : un ouvrage palpitant qui fait réfléchir sur notre propre dualité. La mise en scène de ces vies lupines et humaines qui un jour se sont croisé est inspirante. Tenter de comprendre le prédateur est une première étape pour envisager une cohabitation et mieux ‘travailler’ avec lui. Un couple de bergers estimera que la réussite d’une attaque par le prédateur, sera souvent liée à une erreur humaine.
Cet ouvrage subtil fait écho à l’actualité du moment. Aujourd’hui est un jour sombre pour l’animal. Les 50 états membres de la Convention de Berne, la France en tête, ont pris une décision catastrophique pour la biodiversité : le statut du loup passe de ‘strictement protégé’ à ‘protégé’. Ce déclassement, c’est le vote de la honte.
Dans la région des Abruzzes, pastoralisme et loup cohabitent. Preuve que le modèle fonctionne à condition d’instaurer des mesures équilibrées et un dialogue constant entre éleveurs et environnementalistes. Cette région montagneuse italienne est un exemple inspirant et prône une gestion respectueuse et harmonieuse de la nature.
Promenons-nous dans les bois tant que le loup est encore là.