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Le mot chinois HongFei emprunté à un poème du XIe siècle, signifie « Grand oiseau en vol ». En voyageant librement à l’est et à l’ouest, il survole des montagnes enneigées et y laisse des empreintes sans s’y attacher. Seul le regard de ceux qui les trouveront leur donnera du sens. Une belle métaphore pour parler de la vie. Pas de hasard donc si la singulière rencontre entre l’éditeur du même nom et l’auteur qui décide un jour de vouer une année entière à l’observation d’un merle siffleur, donne vie à ce somptueux ouvrage : ‘TINO UN MERLE AU JARDIN’. Une biographie illustrée sur celui qui a chassé, becqueté, beaucoup chanté, aimé, copiné, volé, défendu plumes et griffes son territoire, sous le regard inspiré de Nicolas Jolivot, carnettiste saumurois bien connu pour ses ouvrages multi récompensés.
« Un merle vit dans mon jardin à moins que ce ne soit l’inverse » murmure l’auteur. Dès lors, nuits et jours seront consacrés à l’étude de l’individu, de Tinette sa compagne merlette et de Toto, le petit merleau. Le résultat sur le papier est grandiose dans un mélange de dessins hyper réalistes et de peintures dignes des plus grandes planches d’ornithologie. Attention ! La spécificité de ce récit tient dans l’expérience exceptionnelle inédite non pas de l’observation naturaliste d’un spécimen dans son milieu, mais bien de la fréquentation attentive quotidienne d’un individu dans son existence. De quoi largement remplir 120 pages d’illustrations uniques regroupées dans un ouvrage relié élégant qui fait honneur aux merles. Sans oublier des textes savoureux et instructifs sous tendus par un émerveillement permanent.
En harmonie avec le solstice d’hiver et le solstice d’été, humain et oiseau vivent au rythme d’une nature qui croît, fructifie, se repose. Une forme de prolongement d’un voyage immobile déjà entamé lors d’un précédent et très remarqué ouvrage sur le jardin, où l’auteur se sent vivre par instants en merle. En entrant dans l’intimité de la petite famille aux chants si purs, en écoutant la complexité de leurs discussions, en partageant leur vie de tous les jours, il déclare : ‘J’ai ressenti à la fois cette force inouïe de résistance transmise depuis la nuit des temps, ce caractère opiniâtre qui nous semble évident, et a contrario, cette fragilité face aux prédations et aux maladies du quotidien. ‘En reconnaissant sa silhouette et ses trilles si personnelles il assure que l’oiseau lui-même le reconnaît en retour. Au seuil de cette charmante cohabitation, il a cette sensation diffuse de n’être « qu’à l’aube d’un dialogue où chacun comprendrait l’autre, tout en tenant sa place » au commencement d’une connaissance plus intime d’un autre monde que le sien. Nicolas Jolivot nous offre un voyage inattendu, contemplatif, surprenant et émouvant : on apprend 1000 choses sur les merles… et l’on comprend Tino ! Un contact puissant vers une autre espèce que la nôtre vient d’être établi avec ce message on ne peut plus clair : nous sommes les cohabitants d’un monde où l’avenir appartient aux merles qui se lèvent tôt et à l’humain qui les observe.
On se sent accompagné et accueilli dans cette connexion à un vivant si proche chaque jour plus familier , mélange de complexité et de prouesses, de fragilité et de résistance. Ces dessins ouvrent la voie à l’émerveillement et au goût du temps long : de celui qui passe sans que l’on se lasse. Un éloge au plaisir de la réjouissance et du ravissement, de cette possibilité d’entrer en connexion au cœur d’une nature dont nous, humains, sommes de plus en plus éloignés.
Avec ce chant sonore et fluté, ce petit torse bombé et ses plumes plaquées en arrière sur la tête comme passées à la gomina, Tino roule des mécaniques et fait un peu sa loi. Tout est prétexte à l’observer, se laisser surprendre, être là : le savoir-faire incroyable de Tino pour boulotter 3 vers de terre en moins d’une minute, son amourette avec Tinette son costume noir de plume molletonné pour affronter l’hiver, son envol à tire-d’aile pour protéger le domicile conjugal . Parfois, les 300 mètres carrés du jardin ne lui suffisent plus ; il furète alors chez le voisin mais jamais plus d’une heure ; et revient sur son territoire sachant en permanence montrer sa force sans avoir à en user : le corps vif, le bec presque rouge, il en impose le kéké. Tinette elle aussi, sait chasser les importunes de son pré carré. Les 2 font la loi. Et la paire.
Niché dans un chèvrefeuille du Japon ou recouvert d’un lierre grimpant, planqué dans un prunier ou en haut d’un figuier, posant au milieu des tulipes et des primevères ou près d’un papillon Ecaille martre, veillant au grain en haut d’une sapinette blanche ou surveillant le chat du voisin, Tino investit chaque branche et sait s’entourer. D’autres congénères rentreront en scène : chardonnerets, étourneaux, fauvettes, mésanges, pies, pigeons, rouges-gorges. L’occasion de rajouter de nouvelles taches de couleur à cet envoutant ouvrage.
Rien n’arrête l’humain rêveur le pinceau à la main : il sait s’approcher en douceur des nichées, ou déléguer à une tierce personne l’observation du jardin quand il dessine. Suivre pendant un an la vie d’un merle n’a rien de reposant. Ce voyage dans son jardin est aussi l’occasion d’une introspection bienvenue : s’asseoir sur la dernière marche du perron pour regarder la cour de haut et tous ses petits détails. Comme un besoin d’un lieu précis qui ressource et permet de ne pas perdre le fil du temps. A l’image de Tino qui chaque soir sur sa branche chante à tue-tête.
En lice pour le prix Maya 2025 les Éditions Hongfei viennent de pondre un ouvrage inédit de très belle facture, digne des plus grands témoignages naturalistes. Destiné aux petits et grands, il sensibilise à l’approche contemplative de tout ce qui nous entoure. Et si ce chant de merle empli de certitudes était une promesse d’avenir dans une humanité cacophonique ?