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A bord de l’Arrowhead, on traque inlassablement les chasseurs de baleines aux 4 coins du globe, dans des zonez protégées où la pêche est pourtant illégale. Mais la haute mer ressemble au Far West, déserté par les polices. L’océan devient un libre-service ou il est permis de massacrer baleines, requins ou cachalots. Un combat de titan à la David contre Goliath porté par Magnus Wallace, capitaine magnétique, passé maître dans l’art de la communication dont le visage semble avaler la mer à chacune de ses sorties. Un justicier au long cours que rien n’arrête. La curiosité piquée par un tel personnage, le caméraman norvégien Gérald Asmussen monte à bord pour témoigner. Les films sont des boucliers dans de tels affrontements. Lui qui cherchait le renouvellement dans sa vie n’en reviendra pas indemne.
Alice FERNEY porte ce roman de façon magistrale. Sa plume plonge à 20 000 lieux sous les mers pour dépeindre un monde silencieux, d’une richesse insoupçonnée. Quand pointe l’heure de l’agonie, de la lutte, de l’énergie du désespoir, de la peur animale et humaine, les mots déchirent, tachés de sang. Elle se documentera en écoutant le chant des baleines et en étudiant les cartes marines à la bougie, et n’aura de cesse de virevolter, de porter haut et fort la voix des habitants des mers. Le rôle des océans est crucial pour notre survie.
Quel usage faisons-nous du monde ? 10 ans après la parution du « REGNE DU VIVANT », le combat est le même : à l’heure où l’on jette en prison un justicier qui sait lire la mer comme un livre dont les chapitres sont les saisons et les longitudes, un homme convaincu qui se lève comme une vague. Mes respects mon Capitaine. Magnus Wallace fait le travail que ne font pas les gouvernements, sa mission ne transgresse aucune loi, elle se contente de la faire respecter. Pour que les baleines grandes nomades des eaux du globe puissent continuer de se gaver de krill en Antarctique, pour qu’elles ne soient pas traquées par des canons harpons déchiquetant leur grande queue frappant l’eau dans un ultime baroud désespéré, pour que des requins ne soient pas rejetés à la mer comme des chicots de chair sans ailerons ni nageoires, funestes dépouilles remuantes. Le fond de l’eau est leur linceul. Une mort silencieuse.
Tous les bénévoles embarqués parlent d’une seule et même voix : ils ont rejoint la vague de la révolte car celui qui se tait devient complice. Si vous ne dénoncez pas un problème que vous voyez, vous devenez partie prenante de ce problème. Aucune bête ne se lèvera pour sa propre survie. Il aura suffi d’un contact avec l’œil d’un cachalot mourant pour que l’humain perde sa suprématie aux yeux de Magnus Wallace. On ne parle pas de bravoure mais bien plutôt de mission, d’ engagement sans concessions, transformant des émotions en actes, sans jamais se lasser de s’indigner. Dans un monde ou tout à chacun est prié de penser conformément à l’idéologie dominante, lui s’en libère. Contre l’apathie, les méthodes expéditives et controversées sont la seule solution. Bien sûr l’équipage pense au danger, mais ils ont signé pour ça le jour où ils se sont embarqués ; mettant leur vie entre les mains de ce capitaine fantastique et placide, habité de convictions pressantes et prenant au sérieux non ce qu’il est mais ce qu’il fait.
« LE REGNE DU VIVANT » est un cri pour repenser notre rapport à ce monde où les océans sont nos poumons. Une réflexion puissante sur l’engagement activiste et la déroute vers laquelle nous tendons tous, si nous ne faisons rien. Une écriture tellurique qui fait douloureusement écho à l’actualité. La force d’un mouvement, d’un collectif face à l’inaction et au déni, pour dénoncer des massacres commis en toute impunité, soulève certaines foules. Le courage est mis à l’honneur. Nous sommes la plupart du temps plus forts que ce que nous croyons, laissant à terre la vie ordinaire et les hiérarchies nocives.
« La profusion primordiale, le miracle de la diversité qu’avaient produits ensemble la génétique, le hasard et la sélection ont rencontré l’obstination, l’avidité, la prolifération et la puissance de l’homme ».
Le capitaine connait le poids des photos où seule l’image se suffit. L’abomination se donne en spectacle mais exhiber ces clichés, est fondamental. En filmant des milliers d’ailerons de requins séchant au soleil sur les toits de tôle ondulée du Costa Rica, le cameraman revêt à son tour sa cape de guerrier, caméra au poing, sous l’eau comme sur terre. Ne pas trembler devant ces pêcheurs en short effrangé remontant une ligne de palangre de 100 kms, rigolards de voir le petit requin se débattre. La bête n’a pas acquis leur considération morale. Tuer loin et sans risque, tuer en masse et sans péril, bien calé à 30 mètres de hauteur sous un ciré, armé d’un canon harpon, est un progrès barbare.
En plus d’être un plaidoyer vibrant pour la protection des océans ce roman-documentaire nous rappelle nos devoirs envers les bêtes, plus belle énigme en face de laquelle nous nous trouvons. Le combat de Gaïa repose sur 3 moteurs constitutifs et fondamentaux de cet engagement sans faille : la diversité, l’interdépendance et la finitude des ressources. Comment accepter que le travail de millions d’années d’évolution soit anéanti en quelques minutes ? Il existe une faille dans le moratoire qui sauva les baleines de l’extinction en 1986 : la pêche pour motif scientifique demeure permise. Un écran de fumée mensonger pour masquer la vérité. Au Japon, la viande de baleine alimente des distributeurs automatiques: science ou boucherie ? Pouvons-nous être cette génération qui cherche la moindre trace de vie dans l’univers et en laisse disparaitre la forme géante sur Terre ?
Alice FERNEY s’empare d’un sujet brûlant et universel pour célébrer les vertus de l’engagement. L’homme étend son emprise prédatrice sur l’océan : ce roman rend hommage à la dissidence nécessaire face au cynisme organisé, à tous ceux qui offrent leur existence à la Terre et refusent l’idée que des destructions matérielles puissent émouvoir et indigner plus qu’une catastrophe écologique.
Puisse le gouvernement danois entendre cet ultime appel d’un homme en tête à tête avec la mer qui n’aura eu de cesse de mettre sa vie en jeu pour réveiller nos consciences endormies. Ô Capitaine, ! mon Capitaine !
« Je ne veux pas d’un monde sans baleines, elles sont les chimères sublimes de notre monde, elles sont l’imaginaire à portée d’observation, il faut les admirer, en faire notre legs. Le mystère de leur mansuétude à notre égard, me touche »