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Heureux et bien planqués au fin fond de la forêt, deux compères se la coulent douce. L’un est un ours bleu débonnaire ou « Grosse Bête Velue », et l’autre un trappeur un peu taiseux ou « Petit Homme Poilu ». Très potes ils ont noué une amitié sincère en se réservant de beaux moments de complicité et de franche rigolade. Ce matin pourtant quelque chose dans l’air est plus trouble que d’habitude. L’ours a rêvé que son ami voulait lui faire la peau. Mais à y regarder de plus près est-ce un cauchemar ou une funeste réalité ?
Le vieil homme ressemble à une brindille coincée dans une chemise de trappeur, les yeux perdus au milieu d’une barbe hirsute et irrésistible sous un chapeau à la Lucky Luke. Aujourd’hui pourtant, il est contrarié. Grosse Bête Velue le fuit, tétanisé par la peur. Le trappeur part à sa recherche et le débusque entre les sapins, toutes pattes devant, en pleine crise de somnambulisme aigüe. D’habitude ces deux – là prennent du bon temps ; mais il semblerait que le vent ait tourné. L’ambiance est à l’orage et à la suspicion. Le contraste entre cette masse bleue et le petit homme est irrésistible. Dès l’âge de 5 ans et pour les plus grands aussi, le rire devient contagieux.
Avec ce 3ème opus d’une série punchy qui a su gagner le cœur et décrocher le rire, Lionel Tarchala replonge ses crayons et sa plume dans une nouvelle palette de couleurs pour croquer des dessins ultra expressifs. Dans un format à l’italienne qui nous plonge dans l’immensité d’une forêt ou d’une montagne, il fait vivre cet étrange duo Ours-Trappeur avec délice, dans un style personnel, déroulant une histoire savoureuse célébrant son amour de la nature.
L’illustrateur continue de séduire en jouant des bleus et des orangés, le tout enrobé d’un trait malicieux pour nous raconter une nouvelle mésaventure farfelue et tendre. La dynamique des dessins pleine page utilise différents codes de BD comme les traits de surprise ou de mouvement : l’agitation est à son comble entre ces deux énergumènes remuants !
Aborder le thème de la cohabitation inter-espèces par le prisme de la littérature pour petits est un pari gagné par les Éditions Sarbacane dont les ouvrages ne cessent de récolter des prix littéraires au fil des ans. En lice pour le prix Maya 2025 cet album sensibilise au monde sauvage. Sans pour autant mettre un ours dans notre canapé, il nous familiarise avec l’idée d’une cohabitation pacifique entre une espèce sauvage et un humain, un trappeur qui plus est !
Pour rappel, la population d’ours des Pyrénées est la seconde plus petite par la taille en Europe, classée « en danger critique », ou encore en état de conservation « défavorable inadéquat », soit les critères les plus bas dans l’échelle de la conservation des espèces. Les enjeux majeurs de ce 21ème siècle, dont l’effondrement de la biodiversité n’est pas le moindre, appellent à un changement urgent de paradigme, encore rappelé ces jours-ci alors que la COP16 se termine. Et on le déplore, dans l’indifférence générale.
A vouloir systématiquement opposer les hommes aux ours, on en oublierait presque qu’une cohabitation intelligente est possible. C’est le cas de la Slovénie, pays d’origine des ours, qui donne l’exemple en matière de partage des territoires pacifique. 750 ours bruns vivent dans ces forêts en totale liberté, soit vingt fois plus qu’en France, pour un pays plus petit que la Bretagne. Aucun homme n’a été tué dans ce pays par un ours en vingt-cinq ans.
Nous avons toutes et tous au fond de notre enfance ou de nos tiroirs, un nounours fétiche. Ce gros poilu force tranquille nourrit notre imaginaire, et a de tout temps balisé nos premiers instants sur terre. À relire Emile Zola, le devoir le plus élevé de l’humain est de soustraire les animaux à la cruauté. Notre mission la plus porteuse de sens est bel et bien de réapprendre la cohabitation avec le sauvage. « LA PEAU DE L’OURS » est un album fantaisiste et cocasse de qualité, porté par un illustrateur inspiré. Un ours accepte de baisser sa garde et de faire confiance, et un humain change son fusil d’épaule en ne l’utilisant plus du tout !
Pour Rémy Marion, infatigable spécialiste du plantigrade, apercevoir un ours qui passe sous le couvert reste pour lui un grand moment de sérénité. En changeant notre regard et en se délectant de lectures aussi bien narrées, continuons à nous inspirer du vivant, apprenons-en plus sur ce qui nous entoure, familiarisons-nous avec ce qui au premier abord effraie : nous gagnerons en hauteur d’âme et avec un peu de chance au détour d’un fourré, nous croiserons le regard d’un ours outré que l’on puisse le déranger en pleine orgie de gavage de myrtilles et de miel.