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De la Suède au Maroc, la migration d’élégantes grues cendrées se déploie à tire-d’ailes dans cet album jeunesse lumineux et soigné, en lice pour le Prix Maya 2025. Imprimé en format à l’italienne favorisant la lecture en plans larges ou petites saynètes, il fait la part belle aux tons et nuances pastel. Une immersion totale dans les airs et sur terre. Les textes viennent s’y rajouter par petites touches, sans rien bouleverser de la multitude de paysages survolés. Coloris chauds de cieux qui s’embrasent, becs et plumes argentés, les tableaux généreux se succèdent faisant la part belle à la promesse de singulières découvertes. La littérature jeunesse concourt ainsi à l’éveil de futures graines de protecteurs du vivant.
Écrit en collaboration avec le parc Naturel Régional de la forêt d’Orient véritable halte migratoire en pleine Champagne, Mona Leu-Leu s’est entourée de spécialistes pour nous raconter le voyage de ces délicats oiseaux au cou interminable et aux pattes de danseuse maladroite, tout en nous régalant de son talent de graphiste inspirante. Le début de l’automne sonne l’heure du départ vers le Sud. De l’œuf au premier vol, c’est avec leurs propres voix que ces échassiers – les plus grands d’Europe – nous racontent leur incroyable périple annuel dans lequel les petits gruons sont eux aussi embarqués vaille que vaille.
Grâce à une excellente mémoire et l’utilisation affutée de leurs sens, ils remettent aisément le bec et les pattes sur d’anciens bon plans nourriture. Dans les ¾ de l’album, l’humain est là jumelles au cou, observateur émerveillé bien plus que générateur d’embrouilles. Pour l’oiseau infatigable voyageur, le survol des champs, des lacs et des tourbières ne se fait néanmoins pas sans heurts. D’autres dangers menacent les couloirs aériens, l’espace y est réduit tout comme sur terre : la faute à l’intervention invasive de l’Homme. La vigilance reste de mise.
Serré la nuit pour dormir, ou en vol en formation V se laissant porter par les courants d’air chaud, le groupe reste en permanence soudé. Et s’adapte. Et chante, craquette, claquette, glapit ou trompette ! Arrivé à destination dans le Sud de l’Europe, les grues y fêteront l’éclosion du printemps pour repartir retrouver les espaces froids du Nord.
« Nous sommes des voyageuses.
Nous sentons les saisons, nous voyageons avec elles
Et nous les marquons. De génération en génération, nous parcourons de longues distances ensemble.
Pour nous, c’est comme un rituel, une tradition »
Qu’elle soit demoiselle ou Antigone, la grue cendrée a bien failli disparaître des radars en 1970. Grâce à la Convention de Bonn en 1979 elle a bénéficié d’une protection spécifique dans le contexte plus général de la conservation d’espèces migratrices de la faune sauvage. Aujourd’hui le ciel européen est chaque année traversé par plus de 300 000 silhouettes gracieuses de grande envergure au plumage gris cendré et au cri puissant reconnaissable entre tous. Un patrimoine commun transfrontalier inestimable. Très impactée par la dégradation de son habitat, la grue est devenue farouche. Cela n’empêche pourtant pas certains individus d’aller jusqu’à survoler l’Himalaya ou de lointains déserts arides. L’appel du large, sûrement.
Sous le chapiteau de Saltimbanque Éditions, nous croisons la route de conteurs espiègles et joyeux d’histoires libres, qui nous embarquent dans l’aventure avec des livres exigeants : qualité de contenu, de fabrication et engagement assumé sont au rendez-vous.
A travers ‘LE CHANT DE LA GRUE’, Mona Leu-Leu sensibilise les jeunes lecteurs à l’importance de ces oiseaux migrateurs dans notre écosystème: ils demeurent craintifs mais savent s’adapter au rythme des humains. À nous aussi de nous adapter au leur. Le message est aussi porteur d’espoir : une cohabitation inter-espèces est possible tout en préservant les espaces.
Voilà un album chatoyant, engagé, fort et poétique qui ne demande qu’à décoller pour un long voyage dans notre conscience et notre attention au monde qui nous entoure.
Levons plus souvent le nez en l’air.