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En partant à la rencontre du renard roux, Nicolas Baron spécialiste de l’histoire des animaux en France, nous convie à une traversée des siècles haute en couleurs. En mission diplomatique au cœur d’un monde sauvage, il étudie ce bouleversement d’image en cours depuis un siècle, non sans tendresse pour goupil parfois croisé, souvent entendu et maintes fois espéré.
En nous faisant vivre un temps en renard, il nous fait sortir de la sempiternelle et stérile dualité homme/animal pour au contraire aborder un changement de paradigme bienvenu. En modifiant notre regard sur l’animal, nous en apprendrons aussi beaucoup sur nous. Renverser les perspectives, c’est percevoir le monde comme un buissonnement permanent qu’il convient de respecter pour mieux s’en inspirer en faisant cause commune. En réhabilitant la place primordiale qu’occupent les animaux dans notre histoire, l’auteur nous fait évoluer au même titre que le renard roux, espèce-compagne apparaissant comme un acteur à part entière et non plus comme un simple figurant.
Au début du 20è siècle, maître renard est bien présent dans l’écosystème, alléché par l’attrait des campagnes françaises. Les renardeaux suffisamment grands quittent le terrier familial et leur dispersion joue un rôle crucial dans la recolonisation des espaces. Ce canidé de poche a une queue plus longue que son corps et en habile prédateur, il est adepte du mulotage: ce temps suspendu, ou l’animal s’envoie dans l’air avec grâce. Mal aimé il a bien mauvaise presse chez les ruraux et tout est bon pour s’en débarrasser. Les chasseurs apprécient ses ruses et son endurance, les chiens, son odeur forte. A tort ou à raison le portrait du prédateur est ambigu et le plus souvent négatif : le grand auteur illustrateur Benjamin Rabier et ses croquis auront une influence non négligeable sur une génération entière de petits et grands lecteurs.
Entre 1968 et 1998, sale temps pour la planète renard ! La rage fait rage, et c’est en Moselle que le premier cas de contamination sonne l’ arrêt de mort de l’espèce et le glas d’une existence paisible. Redouté et attendu par les autorités sanitaires, l’épizootie rabique couvre une large partie de l’Europe centrale et orientale. Étant un voyageur transfrontalier le renard propage la rage partout où ses pattes l’amènent. L’ennemi sanitaire numéro 1 a de bien funestes jours devant lui. Entre 15 et 30 millions d’individus seront exterminés en 30 ans : tirés, gazés, piégés, déterrés, empoisonnés, la menace du péril roux affole, qui devient la cible d’une véritable campagne d’élimination. Malgré cette hécatombe, la rage ne cesse de progresser due à l’effet désorganisateur des mesures de destruction, sans oublier la formidable capacité de résistance du prédateur.
Admettre qu’il vaut mieux combattre à ses côtés en lui administrant un vaccin antirabique plutôt que le combattre : voilà un changement de paradigme salvateur. De plus en plus perçu comme un formidable auxiliaire agricole, sa formidable résilience accroit sa fécondité. Après cette vague de destruction sans précédent la population vulpine renait : on assiste à un vrai phénomène de compensation. En 2001 la France est un pays qui sort indemne de la rage. C’est un tournant historique.
Le renouveau de l’espèce revient en force au début du 21ème siècle : c’est un ‘nuisible’ qui rend décidemment beaucoup de services. Reprenant peu à peu sa place dans les campagnes il détient un rôle essentiel dans les espaces ruraux. Il lutte contre le campagnol terrestre, véritable terreur de nos prairies, dissémine des graines de fruits par ses déjections, contribue à lutter contre la croissante maladie de Lyme en réduisant le nombre global de porteurs de la bactérie, prélève en priorité des proies affaiblies et s’avère un équarrisseur naturel incontournable.
En 2020, la revue Terre Sauvage titre en couverture « Fantastique Maître Renard-Réhabilitons ce mal-aimé ». De statut honteux de nuisible à ESOD (Espèce Susceptible d’Occasionner des Dégâts) rien ne change dans les faits. Seules quelques territoires français le rayeront de la liste noire. Le 6 novembre 2019 dans le Doubs, le renard devient un allié précieux et un employé gratuit, préservant la production et la santé des prairies. Le campagnol n’a qu’à bien se tenir ! « Avec le renard on est bons amis », déclare un agriculteur : il était temps.
L’animal devient citadin et prend ses quartiers à Berlin comme au Royaume Uni. On assiste à un vrai phénomène mondial. En colonisant le milieu urbain, il cherche sa nourriture tout en fuyant l’expansion humaine des campagnes. Les clés de son succès il les doit à son régime alimentaire omnivore. Une cabane de jardin, un cimetière, un lotissement pavillonnaire, un parc public feront l’affaire : il sait s’adapter et commence à tisser des relations avec l’humain. Ce n’est pas encore l’image d’Épinal du petit prince et du renard mais force est de constater qu’au Royaume Uni près de 10% des citadins nourrissent le vulpes vulpes.
Vedette des écrans et des jeux vidéo et des livres, il incarne pureté, douceur, érigé en passeur de nature, voire en animal totem. Nous sommes responsables pour toujours des êtres que nous apprivoisons ; pour Saint Exupéry il devient guide spirituel bienveillant et universel. Cependant tout n’est pas doux pour les renards : l’intensification de la circulation routière, la pollution en ville, la gale, menacent son quotidien. Un premier éco-pont végétalisé de 18 mètres de large au-dessus de l’autoroute A 10 près des Landes lui assure un couloir sécurisé. Cependant, autorisé à être piégé et déterré toute l’année, son statut de nuisible lui colle aux poils comme de la glue.
Dans ce passionnant bilan d’étape croisant sciences humaines, sociales et sciences du vivant, Nicolas Baron noue un lien fort avec le renard. Depuis 100 ans l’animal a connu nombre de mutations :son cadre de vie, ses habitudes alimentaires, ses différences anatomiques et physiologiques, ses relations tissées avec l’humain. Résistant, audacieux et infatigable, il a parfaitement su s’adapter au gré des siècles : précieux pour les écosystèmes et les activités agricoles il a toute sa place dans notre monde, et les violences subies sont d’une ampleur injustifiée et d’une nature barbare. En 2014 le Royaume-Uni a décidé l’interdiction du fox hunting. Créature de l’entre-deux, ses rapports avec notre espèce sont complexes et ambivalents.
Dans cet étonnant ouvrage à la couverture couleur de feu, Nicolas Baron saisit cette occasion unique, poétique et sensible et nous donne accès à d’autres mondes que le nôtre. En lui donnant carte rousse pour évoquer la destinée du renard, les Editions Actes Sud ont créé les conditions d’un dialogue et d’une nouvelle alliance. En allant à la rencontre de cet animal sur son propre territoire, l’auteur s’est fait interprète de l’espèce vulpes vulpes; il nous rappelle combien le renard est un animal résilient, déterminé à survivre à tout ce que nous lui avons fait subir, traversant les siècles avec grâce et panache.
Une expression populaire bretonne parle de ‘Faire la petite école du renard’ pour désigner l’école buissonnière : une façon unique d’emprunter les chemins de traverse, d’en apprendre encore plus sur eux, et donc sur nous. Et peut-être qu’avec un peu de chance, à travers les ronces, nous aurons la chance de croiser son regard ourlé d’interrogations.