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C’est l’histoire d’un jeune homme originaire de Lorraine qui voulait être tout sauf boucher, rêvant de faire danser les gens derrière ses platines, qui en pinçait pour la musique et la légèreté ; histoire de déjouer les drames de son existence. D’une famille modeste, dévouée, travailleuse et si aimée, il se fait cette promesse : que jamais il ne décevra les siens, rapportant salaire et diplôme à la maison. Une conseillère d’orientation un brin peau de vache , lui martèle cette évidence que jamais il ne pourra faire autre chose qu’un travail manuel ; il se décide alors à pousser les portes d’une boucherie pour son premier apprentissage. Un geste il l’ignore encore, lourd de sens pour une vie entière.
Tétanisé dès le premier jour, il en sera totalement dégoûté dès le second jour, et pour toujours. Cet ouvrage, est un témoignage édifiant des coulisses du métier de boucher dans la grande distribution. Il rend ainsi compte d’un scandale colossal. De tous ses passages en intérim ou grande surface au label tronqué « bio », l’auteur témoigne des mêmes ravages. Des viandes à la date limite de consommation dépassée que l’on remet sur l’étal pour attirer le chaland ce qu’on appelle la « remballe », des surfaces visqueuses noires, vertes ou moisies qui se transforment soudainement en merguez alléchantes pour barbecues, ce que l’on nomme « le parage». Cachant un mal être croissant à ses parents qui le pensent heureux, il se sent devenir complice de la mal bouffe.
Un croque mort qui a honte de mentir aux clients avec la hantise chevillée au ventre de mettre leur vie en danger. Aux pâtés de foie avariés mis en avant, tout est désastre et mensonge. Sa santé s’en ressent et les invendus de viande continuent de devenir des produits de fabrication de base. Il se pense un mec sans soleil, celui qui passe à côté d’une vie alors coûte que coûte, une fois sa démission posée sur l’étal de la honte, il cherche d’arrache pied un autre travail. 7 années dans les pompes funèbres et 2 ans comme animateur dans une radio, le temps de souffler. Comme rien ne dure, il redevient intérimaire boucher. Acteur et spectateur de l’immonde, cette même sensation de haine le hante à nouveau entre rats qui infestent les laboratoires des bouchers, discours mensongers servis au chaland, chaîne de froid interrompue passant des 3 degrés obligatoires à 14 degrés ,caddies entiers de viande jetée, et une peur glaciale qu’un jour l’accident arrive. Ce qui arrivera. Empoisonnement au pavé mexicain d’une femme qui dans un état grave, trouvera le chemin des urgences. Les marinades d’été deviennent des conglomérats de pourriture, les labels soi disant d’origine française ont très souvent traversé la frontière Polonaise.
Le mensonge est partout, l’auteur à chaque fois en parlera à sa société d’intérim qui lui intimera l’ordre de se taire. De subir. Le confinement amènera ce cauchemar à son paroxysme, les directeurs jouant sur la peur du consommateur de manquer : les abattoirs débordent de travail, les directeurs de grande surface se frottent les mains, les animaux sont pendus à des crochets et certain dépecés vivants, le client ne sait pas, ne voit rien. Laurent Richier démissionnera à nouveau, avertissant les autorités compétentes sur les magouilles innombrables, personne ne lèvera le petit doigt. Le jour où il sera écouté, l’entreprise sera passible d’une amende de milliers d’euros. Sa raison d’être pour calmer la chute et le feu en lui, passera par la dénonciation systématique de ces voyous de la malbouffe aux médias.
Un article du Parisien lèvera le voile et des reportages Tv en caméra cachée soulèveront un pan de l’impensable scandale sanitaire. Il continue d’enchaîner les missions d’intérim, et les démissions inévitables et salutaires. Pour éviter les grosses pertes et sachant que la viande est un produit qui se périme vite les bouchers et leurs directions doivent remballer pour limiter les dégâts. Les contrôles sanitaires n’étant pas assez nombreux, les responsables passent au travers des mailles du filet. La surconsommation fait rage au détriment de la qualité et de l’éthique. D’autres scandales sanitaires récents comme Buitoni ou plus anciens comme les lasagnes à base de viande de cheval sont les marqueurs d’une société qui ne cesse de produire. L’éthique n’est pas au programme. La mafia, bien organisée.
Cet ouvrage à lire le cœur bien accroché, a autant d’impact qu’un documentaire télévisuel. Le langage de l’auteur est cru, brut de décoffrage, il ne cache rien, dit tout, c’est étourdissant forcément. Un style chirurgical, froid, qui énumère page après page, la honte de certaines coulisses de laboratoires de bouchers de grandes surfaces. Chaque année plus de 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées ; à l’échelle mondiale c’est près de 12 milliards d’animaux nés pour être jetés aux ordures. La vie de Laurent Richier est un chemin de croix et plus d’une fois, on prend fait et cause avec lui. On a honte, on a peine pour lui, on vibre avec lui, l’estomac en vrac: cet ouvrage est une réussite. Ne laissant personne indifférent, il interroge notre psyché, remet en question nos habitudes, interpelle notre conscience, alerte l’opinion. Puisse t’il être distribué à un grand nombre de consommateurs.
L’auteur a le remords en toile de fond et nous incite à manger de la viande autrement : il en fait presque une bataille personnelle, toujours aussi honteux d’avoir un jour participé à cette débauche de tuerie inutile et de produits avariés et immondes. Ce témoignage sonne comme une revanche sur cette conseillère d’orientation, qui ne lui laissait entrevoir qu’une vie râtée. Elle se sera lourdement trompée : votre ouvrage Monsieur Richier vous rend honneur ainsi qu’aux milliers d’animaux dont vous êtes le porte-paroles.
Les cœurs se vident mais les poubelles se remplissent. Gandhi nous rappelait que « La grandeur d’une nation et son progrès moral peuvent être jugés à la manière dont les animaux sont traités ». Ce livre rédigé à l’encre de sang et de larmes est un vibrant témoignage sur une omerta qui se doit d’être levée. au risque que notre humanité ne s’étiole pour toujours. « Respecter toute vie, c’est se respecter soi-même »