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Cela fait bien longtemps que le chant du loup n’a pas résonné au cœur des Highlands Ecossaises. Au 18è siècle, l’animal y a été pourchassé jusqu’à son dernier souffle. Pour se pencher sur sa réintroduction et générer un écosystème riche et stimulé, la biologiste Inti Flynn se voit confiée cette mission complexe où le partage du territoire entre espèces se fera non sans réveiller des peurs ancestrales.
Cette fresque haute en couleurs en odeurs et en sons, résonne comme un ultime chant de gratitude envers la beauté de ce monde. En effet c’est face à une profonde détresse et témoin de la disparition du sauvage que Charlotte Mc Conaghy nous intime l’ordre de nous (r)éveiller. Au travers de son héroïne principale, flamboyante jumelle d’une sœur muette, apathique et murée dans un silence lourd de sens, se pose l’éternel questionnement de l’acceptation respectueuse d’autres locataires sur notre Terre.
14 loups répartis dans 3 cages seront relâchés dans une forêt de sorbiers et de bouleaux qui jadis regorgeait de forces et de vitalité. Aujourd’hui cette vaste langue de terre colorant les collines est désormais dénudée. Au travers d’une passionnante étude comportementale du loup, c’est aussi celle de l’âme humaine qui s’invite dans ce roman aux allures d’enquête policière tortueuse. Un homme soupçonné de violences conjugales a disparu : la majorité des habitants pointe du doigt les loups désignés parfaits coupables. Le temps pressant la biologiste cherchera soutien auprès du flic local un brin bourru, de la veuve pas si éplorée ou des éleveurs à la gâchette électrique ; c’est une course contre la montre qui s’annonce.
Dans ce roman engagé et tellurique il est question de transmission, mais aussi et surtout de communication. : sous toutes ses formes. Grâce à leurs systèmes racinaires les arbres s’échangent des informations précises et salvatrices, les loups eux se déplacent en dessinant des cartes cognitives, géographiques et temporelles de leurs territoires, transmises de génération en génération : chaque déplacement serait ainsi programmé. Inti est atteinte d’une maladie qui lui fait ressentir tout ce qu’elle voit. A se fondre dans les forêts, ou dans les bras d’un homme, à veiller sur ses loups ou sur sa sœur, elle incarne une créature dont la fureur longtemps contenue implosera. Unique salut pour une timide rédemption.
Ce roman sensoriel est aussi celui de la consolation et de la restauration. Nous nous infligeons tant de peines, certaines violences passés sous silence sont autant de cicatrices à vif et de langages muets qu’elles ne semblent trouver aucun recours vers un possible soulagement. Et pourtant tous ces personnages sont habités par une résilience, une furieuse envie d’en découdre, ‘les gens se font souffrir lui dit sa mère, il faut s’endurcir’. Inti en est l’incarnation ardente .
La forêt a un cœur battant encore faut-il le laisser vivre en paix : débuter un programme de réintroduction de super prédateurs pour limiter la population de jeunes cervidés avides de pousses et de végétaux s’apparente à un début de solution. On parle de renaturation, un écosystème diversifié en bonne santé qui profitera à tous ses habitants : humains, végétaux et animaux confondus. Les 3 meutes aux toisons mêlées de blanc, noir ou fauve continuent d’arpenter leur nouveau royaume sans se douter de la furie des hommes en lisière de forêts et du drame en train de se jouer. Inti surveille les naissances de louveteaux et se heurte aux menaces musclées des habitants.
Se questionner c’est aussi se demander si ce que nous pensons être juste n’est au contraire pas dangereux pour des loups réintroduits dans un nouvel environnement face à des humains énervés. ‘Mon père disait souvent que le monde avait déraillé quand nous avions commencé à nous détacher du sauvage, quand nous avions cessé de ne faire qu’un avec le reste de la nature, que nous nous étions installés à l’écart. Il disait que nous pourrions survivre à cette erreur si nous trouvions un moyen de nous réensauvager. Mais comment doit-on s’y prendre, sachant que notre existence terrorise les créatures avec lesquelles nous sommes censés nous reconnecter ? ‘
Notre nature sauvage a-t-elle été dissoute dans une société aveugle ? Agissons-nous vraiment pour le bien des loups ou l’interventionnisme peut-il être à force nuisible, en arpentant le monde de nos pas si lourds d’humains. Nous ne sommes pas assez créatures.Les peurs troublent le quotidien et brouillent les raisonnements, le passé de chacun ressurgit en réveillant les traumatismes enfouis. Inti devient protectrice consumée par une culpabilité dévorante, mi femme-mi louve engoncée dans une enveloppe d’humaine, ressentant l’appel de la forêt comme unique salut à sa chute inévitable.
Recréer du lien avec le sauvage est essentiel à notre survie : en agissant comme des gardiens et non des propriétaires, nous retrouverons ce sens du sacré qui promet des heures éblouissantes au contact d’autres espèces que la nôtre. Le loup si longtemps décrié dans les fables d’antan est aujourd’hui encore, une magistrale parabole de ce vers quoi nous devrions tous tendre au sein de nos meutes respectives : l’esprit de groupe et la solidarité, la transmission, l’adaptation, la grâce tout simplement. Aux dernières nouvelles le plan loup prévu par le gouvernement Français assouplirait les règles de tir de défense sur les prédateurs. Une fois n’est pas coutume, la solution puise sa source dans l’éradication et la violence : nous avons décidemment perdu toute habileté à accepter l’Altérité. Contre toute attente le parc de Yellowstone a réintroduit le loup : le succès est incontestable la biodiversité est riche de ses espèces végétales et animales. Quand l’homme veut, il peut, il suffit de pleurer un bon coup sur la beauté du monde.
Régénérer un coin de son jardin c’est déjà décider avec son cœur de remettre du vivant dans la torpeur acrylique de nos gazons sans âme. Le monde mérite que nous pleurions sur son élégance, son attrait subtil, son incandescence, son mystère, sa temporalité, sa compréhension profonde. Réapprenons à aimer de tous les atomes de notre être ce sauvage qui nous entoure et peut être alors dans un monde plus enfoui et invisible que celui que nous connaissons déjà, cet amour nous sera rendu.