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Depuis le mois de novembre, une corneille a posé ses valises dans la station Ménilmontant et à ce jour, aucun expert n’est arrivé à la déloger pas même Frédéric Jiguet ingénieur agronome , ornithologue et professeur au Muséum National D’histoire Naturelle. Il est l’auteur de ce captivant essai ‘VIVENT LES CORNEILLES,‘ véritable plaidoyer pour une cohabitation responsable avec le corvidé. Selon lui, cette histoire qui passionne usagers de la RATP et internautes, devrait interpeller le grand public sur le sort réservé aux corneilles en France. En nous éclairant sur la véritable nature de la dame noire et des alternatives envisagées pour en réguler sa population, il nous invite à réviser nos jugements à la hâte, nos idées fausses, nos peurs ancestrales en partant à la découverte de cet oiseau, pour le moins surprenant et si méconnu. Entre l’automne 2019 et l’été 2022 plus de 5 millions de corneilles, corbeaux et pies ont été tués sous couvert de régulation pour lutter contre les dégâts causés aux cultures et aux semis. Pourtant, pendant la période du Covid, où toute activité humaine semblait figée dans le silence, les déclarations de ces mêmes nuisances baissaient de 40% : preuve s’il en est que lorsque la nature reprend ses droits, les équilibres revoient le jour. Tout débute par un coup de fil que l’auteur reçoit de la Direction des Espaces Verts et de l’environnement de Paris. En 2015 la Ville cherche des alternatives pour remplacer une régulation radicale préconisée par certains esprits chagrins : il va dès lors étudier le volatile, ses comportements, ses mouvements, ses habitudes, ses aptitudes.
Les premières captures ont lieu au Jardin des Plantes où les corneilles attirées par d’irrésistibles frites se retrouvent sous un filet projeté et déclenché à distance : elles repartiront baguées aux 2 pattes et certaines seront revues régulièrement. C’est le cas de Blanc 001 qui à ce jour, est encore observée dans les parages. Rapidement la cage-piège fait son entrée: l’auteur et son filet ont été démasqués, il fallait donc envisager un autre système. Toute cette nourriture à disposition fait le bonheur des jeunes corneilles en apprentissage de l’autonomie. Sur 1000 oiseaux bagués, une seule arrivera à s’extirper de la cage en refermant ses ailes contre son corps entre les barreaux pour éviter le baguage. Liberté quand tu nous tiens ! C’est entouré de spécialistes, de bénévoles passionnés, que l’ornithologue débute son étude : les corneilles ne restent pas fixées dans un espace vert donné et il ne compte plus les mouvements quotidiens et réguliers de certains individus entre le Jardin des Plantes et le Carrousel du Louvre ou les Tuileries. La pose de mini balises GPS explore les oscillations entre dortoirs et autres lieux fournissant le manger. Le Forum des Halles ou la Porte de Choisy sont aussi d’excellents spots de repérages. Il existe bel et bien un véritable réseau de connexions aériennes. Si les adultes sont plus sédentaires et fidèles au territoire et à leurs partenaires, les immatures ou juvéniles poussent l’exploration de nouveaux territoires jusqu’en Province.
Que reproche t’on aux corneilles ? De vider les poubelles sur la voie publique. La seule vue d’une frite et c’est l’extase. Une bonne gestion du ramassage des ordures aurait pu régler le problème, il n’en est rien. La faute est rejetée sur l’animal, pourtant expert en tri sélectif. En effet : 1000 corneilles mangeant quotidiennement chacune 50 grammes de nos déchets alimentaires sur une année, représente plus de 18 tonnes de matière organique recyclées par an évitant l’émission de 640 kilos de dioxyde de carbone : l’équivalent d’un Paris Nantes en TGV pour 500 passagers ! Raffolant des larves de hannetons ou de vers, les corvidés retournent bon nombre de pelouses certes vivantes mais dégradées. Des filets ornent les jeunes plantes pour les protéger. Une fois de plus l’auteur s’interroge sur de nouvelles procédures pour éviter ces spectacles désolants. En décidant de ne plus tondre les pelouses dès la fin de l’été, il remarque alors la diminution nette des arrachages. Acceptons les pelouses urbaines plutôt que des greens de golf dénaturés ! Laissons le sauvage regagner du terrain. Nous aurons tant à y gagner.
La psychose envahit les esprits. Régulièrement fin mai début juin, la Mairie de Paris reçoit des appels dénonçant des attaques sur des passants. La conclusion de Frédéric Jiguet est sans appel : un oiseau menaçant, c’est une corneille qui défend une nichée ou un poussin tombé du nid trop tôt. Ce n’est en aucun cas un oiseau pris de folie n’en déplaise aux chasseurs qui alimentent inepties et propagent à tout va des légendes rurales absurdes. Les préjugés sont tenaces sur cette élégante dame noire. Comme tout être vivant, il existe quelques individus déviants : en éduquant l’oiseau à l’aide d’une pédagogie sans maltraitance, l’individu imprégné est alors relâché et n’aura plus peur des humains. Un conseil si un jour, vous croisez la route d’un corneillon tombé du nid, mettez-le à l’abri des voitures pas loin des parents. Dernier recours, s’il est mal en point amenez le à Maison Alfort. Mais le mieux sera de le laisser tranquille : la nature se charge elle-même de ses occupants. Entre jardinier en chef des Tuileries, fauconnier et l’auteur lui-même, la cohabitation se fait en bonne intelligence même si les tensions sont palpables. S’entendre sur la marche à suivre pour éviter de tuer des corneilles au lieu de les réguler naturellement et sans heurt, est complexe. C’est ici que l’étude de Frédéric Jiguet revêt tout son sens. Certaines infractions sont commises puis dénoncées, la roue tourne comme la Terre, les corneilles peuvent désormais prendre un bain de soleil aux Tuileries sans craindre pour leur vie : les intéressés finissent par comprendre qu’il faut gérer les sources de nuisances et non les oiseaux.
En analysant la composition chimique de leurs plumes, une évidence s’impose : la corneille est une voyageuse et la mobilité des jeunes est telle que les tuer pour préserver les parcelles s’avère une solution temporaire et illusoire. Il faut donc changer de paradigme. Nos voisins suisses font le même constat. Leurs solutions basées sur les régulations sont sans fin : la frustration est croissante du côté des agriculteurs, il s’agit donc de dénicher rapidement de nouvelles solutions agronomiques face aux dégâts des oiseaux sur les cultures. Et pourquoi ne pas enrober les semences, les colorer selon leurs goûts, mettre les semis sous couvert, détourner l’attention. Les ornithologues prennent conscience que le maïs reste très apprécié du corvidé. Pas étonnant qu’en Bretagne la population de choucas des Tours se régale de cette céréale pendant l’hiver et qu’ils déterrent les plantules au printemps. La cantine est ouverte et le cercle est vicieux : la présence d’ensilages à ciel ouvert attire l’oiseau toute l’année.
Nul n’ignore que les animaux véhiculent des virus potentiellement dangereux pour l’homme et autres espèces animales : c’est le cas du très virulent H5N1 apparu en Chine en 2004. En octobre dernier un majestueux ours polaire du Nord de l’Alaska a succombé au virus dont la souche actuellement en circulation est hautement pathogène. Une première, désolante. Les virus sont transmissibles et provoquent d’innombrables décès : nous pouvons rayer de la liste de nos préjugés que la corneille en soit porteuse. Il n’en est rien. Après analyse de son sang, il apparait que l’oiseau n’est pas amplificateur et que le risque est nul, ou presque. La veille sanitaire continue sur la dame noire, espèce mal aimée : le renard et le blaireau sont déjà des victimes abusives de telles croyances, rien ne sert de rallonger la liste des méfaits des faux savoirs ! La corneille a de la mémoire et peut être rancunière : quoi que fasse l’auteur en déambulant dans les allées du Jardin des Plantes, l’alerte bruyante est donnée, le comportement d’alarme est déclenché. A force, il est connu cet humain avec ses filets, ses bagues et sa cage piège. Un couple nicheur donne l’alerte. Même recouvert d’un masque Covid, c’est branle-bas le combat dans les airs. En se déguisant et modifiant sa silhouette, son allure, sa démarche, déguisé de casquette et de lunettes, miracle, il passe inaperçu. En enlevant le tout, il ne faut pas plus de 10 secondes pour que les bruissements d’ailes claquent bruyamment dans l’air Parisien.
Cette passionnante et instructive immersion dans l’étude de la corneille sonne comme un plaidoyer imparable pour nous enseigner à vivre ensembles ; une réelle évaluation des politiques de destruction devrait s’envisager sous 3 angles distincts : écologique, économique et éthique. De jeunes corneilles parisiennes aiment partir en Normandie le temps d’un week-end pour revenir au bercail : à l’échelle locale, tuer des jeunes voyageuses ne réduit pas les dégâts. Seule une régulation massive à grande échelle nationale serait susceptible de faire baisser l’effectif. Nul besoin d’en arriver à de telles extrémités. Le coût de régulation est exorbitant : une estimation de 16 millions d’euros face aux 5 millions d’euros de dégâts imputés aux corneilles. Éthiquement enfin, il est plus que temps de prendre en compte la souffrance animale. Une réflexion collective s’impose : à l’heure de la 6èmeextinction de masse et en pleine crise de la biodiversité, que penser de l’éventuelle destruction d’un million d’individus. Pour pousser les élus à changer de mentalité, nous devons tous nous sentir concernés. En croisant le chemin d’une corneille baguée, vous pouvez aider. Le programme de recherche à l’origine de cette initiative et de cet ouvrage est particulier : fédérer une communauté d’observateurs bénévoles sans lesquels les travaux ne verraient pas le jour.
« VIVENT LES CORNEILLES » nous incite à lever le nez, à porter un autre regard sur des oiseaux injustement qualifiés de nuisibles. Cette approche enrichissante et percutante nous en apprend beaucoup sur cette messagère du Vivant. Partager l’espace commun est une gageure et pourtant une nécessité impérieuse et irrévocable. La vulgarisation d’une telle démarche scientifique de terrain rapproche alors citoyens engagés, scientifiques et corneilles. Et si ces belles dames noires nous donnaient une savoureuse leçon de comportement civique ? Et si elles ramassaient nos déchets et donnaient l’exemple, quel électrochoc ! C’est l’incroyable projet d’une start-up qui a déployé ses ailes au Jardin des Plantes sous forme de plateforme nourrissant des corneilles dès lors qu’elles déposent des déchets à la poubelle. Si elles y arrivent, pourquoi pas nous ?
Dans « VIVENT LES CORNEILLES », on peut y lire une acclamation mais aussi une injonction à laisser tranquilles ces formidables corvidés, doués d’intelligence et de perspicacité. Un mini guide s’adressant aux routardes corneilles est annexé en fin d’ouvrage, chaque ligne est un condensé d’humour pur. Un guide pour les petites futées, irrésistible. En suivant leur piste, nous redécouvrons la capitale sous un autre angle. Cet essai est une précieuse invitation à la tolérance à l’égard de la vie urbaine sauvage. Une leçon qui redonne du sens à nos déambulations et qui nous enjoint de porter notre regard plus loin, plus haut, plus éveillé.