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Devant tant d’ingéniosité, d’audace, de mémoire, ou d’astuce, scientifiques et éthologues ne cessent d’être surpris par les animaux. Leur intelligence n’est plus à prouver ; elle est bien loin la notion de corps mécanique sans âme et dénué d’émotions. En lice pour le prix Maya 2024, « PAS BÊTES LES BÊTES » est un album jeunesse pédagogique dense et lumineux pour les enfants dès l’âge de 6 ans. Le livre est déjà paru il y a 5 ans. Seulement voilà, les découvertes se multiplient et l’univers des animaux fascine à plus d’un titre. Les Editions du Ricochet ont donc enrichi ce nouvel opus, revu et corrigé par de nouvelles planches inédites. Au plus près du réel, les dessins de l’illustratrice font mouche ! Ses pinceaux brossent de très élégants contours, détails et expressions à fleur de poils, de peau ou d’écailles. Les textes sont courts, efficaces et pédagogiques. L’animal n’est ni déguisé ni caricaturé, il est lui-même, dans son environnement, face à une situation qui le pousse à utiliser la palette incroyable de ses sens pour agir. A l’image du geai des chênes, de l’écureuil roux ou du casse-noix moucheté qui, grâce à une mémoire ultra précise arrive à cartographier cachettes et territoires pour retrouver ses provisions enterrées dès la fin de l’été. L’hiver approchant, c’est une course au trésor qui débute alors.
Les primates eux n’ont qu’à se pencher dans la nature pour se débarrasser des moustiques grâce au citron, ou pour nettoyer leurs intestins par l’ingestion de certaines feuilles. La médecine par les plantes n’est pas uniquement réservée aux bipèdes humains ! Une meute de loups est régie par des règles bien définies ; il en est une, précieuse pour le clan ; la camaraderie, exigeant loyauté et intelligence. Après une bagarre rien ne sert de rester en froid trop longtemps, en se touchant le museau et en se léchant le poil, l’individu indique à son partenaire que le jeu peut reprendre et que les tensions sont de l’histoire ancienne. Chez l’éléphant, le sens du toucher est entièrement régi par sa trompe : en cas de danger, celle-ci effleure la tête de son congénère, appuyée par de discrets infrasons pour le rassurer. Une branche arrachée d’un arbre fera également office de tapette à mouche, très incommodantes pour le pachyderme.
En Australie, la femelle du grand dauphin cueille délicatement une éponge de mer et la met sur son rostre pour se protéger d’éventuelles blessures lorsqu’elle frôle coraux, oursins ou rochers. Dans son périple, elle pourrait croiser au fond de l’eau, une noix de coco posée sur le sable dont elle serait à 1 000 lieux d’imaginer le contenu. Une pieuvre, qui avec ses 9 tentacules se cache, tout simplement. Son extrême dextérité lui permet de se faufiler là où rien ne peut l’atteindre. Elle écarte tout danger en se fondant dans le paysage. La loutre de mer quant à elle, se gave avec gourmandise : avec les paumes de ses pattes ultra sensibles aux textures, elle dépose un caillou sur son ventre dodu puis cogne des coquillages dessus pour les ouvrir et se régaler enfin. Des corbeaux projettent des noix au sol, écrasées par des pneus de voiture. Lorsque le feu passe au rouge et que les véhicules sont à l’arrêt, les corvidés se jettent goulument sur le bitume, il n’y a plus qu’à se servir. L’alternance des feux de circulation est donc bien comprise et intégrée par l’animal. Au Japon, une femelle macaque décide un jour de laver les patates douces que les chercheurs lui lancent. Fini le sable qui gâche le plaisir ! L’animal raisonne, réagit, puis agit.
Le ratel est connu pour être très tenace et endurant : il en est un, qui ne cesse de s’échapper d’un centre de soins en Afrique du Sud. Ni une ni deux, il ouvre les loquets avec ses griffes pouvant atteindre 4 centimètres à l’âge adulte, il entasse des pierres, échelle de fortune, pour faire le mur. Et si l’humain contrecarre ses projets, le ratel fabrique alors un escalier avec de la boue et prend la poudre d’escampette. La liberté est terriblement attirante. En communiquant entre eux par infrasons ou cris sonores, chaque espèce dialogue avec ses congénères : les singes vervets d’Afrique ont une vue plongeante du haut de la canopée pour avertir de la présence d’un fauve, d’un serpent ondulant ou d’une menace venant des airs. La jungle devient cacophonique.
Dans cette fascinante odyssée, il arrive que l’humain tente fiévreusement de communiquer avec ces espèces par le biais du langage des signes. Une femelle chimpanzé a intégré suffisamment de mots pour réclamer un jus d’orange ou faire part de son état émotionnel. Ce langage appris par un humain, elle le transmet ensuite à son petit. On ne sera donc pas étonnés d’apprendre que les primates partagent près de 99% de leur ADN avec l’homo sapiens. Qu’il chasse, se bagarre, se protège ou communique, l’animal ne peut comprendre le monde sans se comprendre lui-même. Le propre même de la sentience. En mettant ses sens au service de son intelligence, il arrive à décliner de multiples manières différentes sa perception de l’univers qui l’entoure, c’est ce que l’on appelle l’umwelt.
Sa vie mentale est fort complexe et les éthologues continuent de noircir des pages entières de carnets. Son intelligence peut être cognitive, verbale, émotionnelle, pratique ou spatiale. Sa capacité à apprendre ou à inventer une manière de s’adapter à une situation nouvelle est un comportement qui relève donc de l’intelligence. Dans la neige, la jungle, la forêt, la savane, l’océan, les eaux glacées de l’Alaska, il s’adapte pour survivre lui et sa tribu, son clan, sa meute, et ses capacités cognitives, font le délice des chercheurs. Quand un corbeau de Nouvelle Calédonie confectionne un crochet pour attraper des insectes, la frontière entre règne animal et humain s’estompe chaque fois un peu plus. L’Homme n’est pas le seul animal à utiliser des outils pour améliorer son quotidien. Certains chimpanzés utilisent des baguettes effeuillées à insérer dans des galeries de termites et de fourmis : une fois ressorties, elles se métamorphosent en sucettes hyper protéinées !
Pourquoi vouloir chercher à tout prix ce qui nous différencie ? Les chercheurs nous dévoilent au contraire ce qui nous rapproche.« PAS BETES LES BETES » est un album jeunesse savoureux et élégant. Outil idéal de sensibilisation pour les futures graines d’adultes responsables, il nous invite à reconsidérer les autres espèces avec respect, curiosité et bienveillance. L’urgence est à nos portes : et si nous nous inspirions des animaux pour mieux instruire les hommes comme nous y invitait La Fontaine ?