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Cet album jeunesse au graphisme lumineux et féérique pour les petits lecteurs dès 3 ans, est en lice pour la 5ème édition du Prix Maya, unique prix littéraire en France récompensant un ouvrage engagé pour la cause animale. ‘IL ÉTAIT UNE FOIS-LE SECRET DES SIRÈNES‘ nous invite à partager le quotidien de Théodore qui au bord de son lagon enchanteur aime à pêcher et à ramener chez lui nombre de poissons de toutes sortes pour étoffer chaque jour un peu plus sa collection qui est déjà bien garnie. Juste pour le plaisir de les regarder. Il puise sous l’eau des créatures enchanteresses et mystérieuses qu’il ne voit pas sur terre. Il ne pense pas à mal en les confinant dans des bocaux ; c’est avant tout son plaisir personnel qui importe et après tout, il ne les tue pas.
Ce qui lui plaît ce sont les écailles, qui au moindre rayon de lumière, se parent de 1000 feux, aussi scintillantes que des pierres précieuses. Il manque à sa collection un spécimen rare ; en partant à sa recherche, une créature envoutante se retrouve empêtrée dans ses filets : ses longs cheveux sont des algues, son étoile en haut du front irradie de toute part, ses yeux grands ouverts n’exprimant que candeur et pureté. Entourée d’un coquillage phosphorescent en forme de sphère, elle est immortelle et pourtant… en l’extrayant de son environnement naturel et en la ramenant chez lui dans un bocal, Océane dépérit à vue d’oeil. Par deux fois, la voix de l’Océan intime l’ordre à Théodore de la ramener dans son élément. Fou d’inquiétude et bravant les éléments, c’est dans des profondeurs obscures et désenchantées qu’il la redépose au fond de l’eau. Un endroit qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Au moment où à la lisière de l’existence elle semble vaciller, tous les poissons des profondeurs, rouge, à pois, multicolore lui donnent une écaille pour parer son corps de 1000 éclats de lumière. Elle se métamorphose alors en une exquise sirène au charme aquatique délicieux. Reprenant vie dans son milieu naturel, elle exulte et Théodore n’a donc plus qu’une seule chose à faire ; rejeter à l’eau tous ses protégés confinés. Si Océane reprend goût à la vie chez elle, il devrait en être de même pour toute sa collection de poissons se morfondant entre 4 coins de plexiglas à tourner en rond en une quête désespérée de sens.
Depuis ce jour, chaque queue de sirène resplendit éclatante comme un écho à cette évidence si souvent passée sous silence, qu’un animal n’est heureux que lorsqu’il évolue dans son environnement naturel ; en toute liberté. Une morale que les tout petits découvrent face à ces explosions de couleur à chaque double page. Sait-on pourquoi une sirène a des écailles ? Quel mystère entoure donc ces créatures enchanteresses ? Un festival de nuances et de dessins aux tons pastel et doux illumine cet l’album , véritable tableau irisé mi ombre mi lumière : ici les êtres vivants humains et non humains interfèrent entre eux ; mais c’est Théodore qui s’impose en petit dominant. Au moment de perdre ce à quoi il tient le plus, la solidarité de chaque poisson redonne la vie à sa créature bien aimée. La solidarité inter-espèces est très joliment incarnée.
Poissons, poulpes, hippocampes, étoiles de mers, coraux vivent en symbiose et en harmonie sous la surface de l’eau. Seule l’intervention de l’homme vient bouleverser ce délicat équilibre, fragile, si essentiel à la biodiversité. En abordant les thèmes de la convoitise, du cheminement personnel, de la prise de conscience de la fragilité de notre environnement, c’est toute une phase d’éveil pour les tout petits qui s’articule en couleur, en douceur en des messages courts et donc, efficaces. En sortant un animal de son milieu naturel, il décline, et meurt à petit feu. Une sirène est une créature légendaire mi-femme mi-poisson du folklore médiéval nord-européen. En l’incarnant comme une entité fragile et en péril, l’autrice pointe du doigt notre destinée à nous humains, intimement liée à celle des animaux : un océan vidé de ses créatures est la funeste promesse pour l’homme de lendemains moroses et dépourvus d’enchantement. Selon l’adage bien connu amérindien, ‘ La terre n’appartient pas à l’homme, c’est nous qui lui appartenons’.
Le lecteur en herbe est émerveillé par ces illustrations pleine page éclatantes et éblouissantes puis comprend peu à peu qu’aimer ne veut pas dire arracher quelqu’un ou quelque chose à son milieu naturel. La liberté des uns s’arrête là où débute celle des autres. Le talent de Beatrice Blue aux manettes pour les dessins et les textes, convoque irrésistiblement notre imaginaire et ravira petits et grands : elle nous montre le chemin en douceur pour dire l’essentiel en peu de mots et en coups de crayons gourmands et généreux. Nous sommes les gardiens de notre planète, non les propriétaires et nos enfants de futurs gardiens éveillés.