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États-Unis début du 20ème siècle : la croyance populaire veut que les animaux aient une conscience morale. Les tribunaux locaux condamnent à tour de bras mulets, cochons, chevaux ou taureaux accusés de nuisances. Lors de procès surréalistes, la peine capitale peut être prononcée : ce sera la pendaison quel que soit le gabarit. La justice fédérale fait donc régulièrement appel à celui qui portera le coup fatal. Jack Gilet, bourreau itinérant au visage absent et regard éteint, habite un corps aussi frêle qu’ une brindille. Pourtant automate au moment fatidique, l’empathie l’habite bel et bien.

David Ratte talentueux scénariste, dessinateur et coloriste nous fait voyager à travers l’Ouest américain. Les grands espaces double page sont autant de respirations bienvenues, la route s’étire doucement entre chaque ‘mission’, la lenteur fait partie du périple. Tous les ingrédients du western sont présents : mines patibulaires, animaux terrifiés, sagesse de l’indien qui cite Freud, un bourreau pas si sombre et une jeune femme brûlant du feu de la vengeance. Il manquait un jeune psychopathe en mal de sang, voici Tom, apprenti tueur avec sa tête de communiant qui voit dans ce bourreau mélancolique, un mentor fascinant. L’élève dépasse le maître niveau engagement et motivation.

« À LA POURSUITE DE JACK GILET » en lice pour le Prix Maya 2026 informe et sensibilise. Ici sans pouvoir se défendre, l’animal subit. Une fois encore. Mary, magnifique éléphante, croupit enchaînée dans le noir d’un garage. Accusée d’avoir causé la mort d’un dresseur qui la battait elle attend son heure. Se basant sur ces faits édifiants et bien réels, David Ratte fait état de la maltraitance animale permanente dans les cirques de l’époque. Le fil narratif déroule tout le cheminement physique et personnel de Jack. Censé être à l’apogée de son art le jour J face au pachyderme, comment affrontera-t-il ses émotions qu’il peine de plus en plus à cacher ?

À Cincinatti – où se trouve son bureau – les moqueries vont bon train. Sous l’emprise d’une mère visiblement déçue par son fils et d’un père certes mort mais toujours influent, Jack Gilet exécuteur fédéral d’animaux est un anti-héros gagné par le doute qui souffre en silence. L’ombre désapprobatrice des parents plane en permanence. Il fait un sale boulot sans être un sale type : qualifions-le de rêveur contrarié. La rencontre avec l’écorchée vive Winifred pourrait bien changer le cours de son existence.

Les aquarelles aux teintes pastel beige, vert pâle ou rose délavé rendent l’atmosphère nostalgique flirtant avec l’austérité. Par son graphisme aéré, l’immensité des paysages est hyper réaliste. Jouant sur la composition de ses planches avec une grande variété de taille des vignettes, de cases verticales, de pages entières ou semi -entières, c’est un vrai plaisir de lecture qui vous attend. 125 pages de décor de western plus vraies que nature. Canyons gigantesques, paysages désertiques, grandes plaines parsemées de bisons, forêts profondes, bateaux à vapeur sur les fleuves, ponts de fer gigantesques. David Ratte raconte aussi la fin d’une époque: celle des cowboys et des peuples indiens. la mécanisation à travers le chemin de fer et l’apparition des véhicules automobiles révolutionneront le quotidien. Une Amérique à la charnière de deux époques où oppressions et préjugés continuent d’abonder. Racisme, spécisme et sexisme : même combat.
Les procès d’animaux existent depuis le Moyen Âge, le dernier a eu lieu en Macédoine en 2008 : un ours ayant volé du miel a été condamné à verser la somme de 2300 euros en dédommagement. N’ayant pas assez de liquide sur son compte, c’est l’État qui a payé l’apiculteur plaignant. En 1713 au Brésil, des termites gagnent leur procès contre un monastère franciscain qui les accusait d’avoir dévoré le mobilier du bâtiment. L’avocat a fait valoir leur droit à se nourrir et le monastère, condamné à fournir un habitat aux insectes.
Cette peinture sans concession entre en résonance avec la société d’aujourd’hui. Elle interroge notre rapport au bien et au mal et à la soumission, notre lien aux animaux, notre feu intérieur qui parfois couve et explose.
Notre cercle de compassion s’est élargi.
Un peu.