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Au Canada on appelle les sans domiciles fixes, des itinérants, dont se détournent les passants craignant une possible contagion de la misère : chaque jour diffère de la veille, chaque lendemain est incertain, chaque choix revêt une importance capitale. Cette rupture totale d’avec le monde d’avant, c’est le quotidien de Mathieu qui dort dans la rue, sous la lumière blafarde et glaciale de novembre en plein Montréal. Pour lui tenir chaud à l’intérieur, est collée à lui, Sam, une femelle rotweiller qui ne le quitte pas d’un pouce. Une sorte de prolongation de lui-même, l’ombre de son ombre. ‘CHERCHER SAM’ est le livre des survivants, bipèdes comme quadrupèdes. Et avant tout un témoignage bouleversant sur le lien indéfectible entre un chien et son gardien. Mais qui veille réellement sur qui ? Sélectionné pour le prix 30 Million d’Amis, le roman vous happe d’emblée convoquant une lecture rapide, comme un one shot : l’écriture de Sophie Bienvenu est âpre, rugueuse, crue et tendre au plus près du froid qui colle, de la solitude qui éreinte, de la peur permanente. Et de l’amour inconditionnel de cette masse chaude, à la truffe mouillée.
Mathieu erre et l’on comprend que l’avant n’était guère plus rose : un père faible et malade aux abonnés absent, une mère accaparante étirant son sourire de méchanceté, un seul amour marginal et inconstant, une enfant qui naît et qui par sa seule présence comble tous les interstices d’un bonheur sans égal. Et puis il y a Sam, qui est juste là et sans qui, Mathieu serait mort 100 fois. Car depuis 2 ans sa vie n’est qu’une ombre, et c’est bien elle qui lui donne ce sursaut de survie bancale. Cette femelle rotweiller grise arborant un collier rose de jeune fille, peut-elle ressentir de la tristesse face à un passé révolu, peut-elle avoir des regrets ou avoir une conscience ? Dans quel monde vit elle ? Autant de questions à l’étude sur le monde intérieur des animaux, l’umwelt.
Quand tout le monde dort, le laid et le pire s’unissent insidieusement pour réveiller les vieux fantômes. Montréal fait raisonner les pleurs sur les façades des immeubles et tout le monde s’en fiche, sauf Sam. En première partie de cette errance silencieuse , Mathieu semble expier une faute si terrible qu’il en perd le souffle, l’air ne passe plus. Ne surtout pas s’habituer au moindre confort. Car cela vous rappelle ce que vous avez perdu. Sophie Bienvenu détricote en finesse un passé qui tend inexorablement vers ce présent incertain, hostile et imprévisible. Les vieux démons sont devenus le pain quotidien du jeune homme.
Un matin, Sam attachée à un banc le temps d’une course, disparaît. Débute une chute abyssale vers l’immonde et le désespoir qui rendent l’air épais. Et pourtant de cette disparition naîtra la fin de l’errance du jeune homme. En commençant ses recherches, la ville lui semble soudainement infinie, aux ramifications inquiétantes, aux impasses sordides. Lire ‘CHERCHER SAM’ c’est s’inviter dans le quotidien de ces marginaux oubliés, frôler de très près Mathieu et ses peurs, subtilement évoquées grâce à une plume épurée, une sorte de chant à soi-même, d’injonction vitale à avancer sans relâche. Le seul rempart contre l’oubli restant son animal de compagnie.
En frappant à des portes froides derrière lesquelles résonnent des aboiements déchirants, il se heurte à une réalité sordide et innommable ; celle des vols de chien réservés aux combats. La lutte est inégale : comment l’humain peut -il être capable de tant de sévices sur l’animal ? Cette urgence de ratisser la ville lui fait combattre ses démons, lui apprend qu’une confiance donnée à un chien ne doit jamais être déçue, que l’amour pour un enfant ne doit jamais être détourné par qui que ce soit. Il faut qu’il retrouve Sam pour vivre encore et mourir lentement. Certaines choses ne se réparent plus.
Aidé dans sa recherche par Gabrielle elle aussi à la lisière de la vie, il se soumet bon gré mal gré à l’avalanche de questions et pourtant parler, il n’en a plus l’habitude, car avec Sam, ce n’est pas nécessaire puisqu’elle sait toujours ce qu’il pense; un temps d’avance sur ses propres émotions à lui. Elle est comme son pare feu, son troisième tiers qui le maintient hors de l’eau, son barrage pour empêcher les souvenirs d’affluer. Dans cette bouleversante course contre la montre, cet homme itinérant semble prendre un chemin qu’il n’osait imaginer : serait-ce celui de son propre pardon ? Ce roman témoigne de la survie dans la rue ; quand les portes claquent et que les gens rentrent au chaud chez eux, que reste t‘il de ces hommes, de ces femmes et de leurs animaux ? Les codes de vie sur le trottoir sont bien établis, et diffèrent d’un endroit à l’autre. Plus on connait de monde et plus on est en sécurité. Mathieu ne veut pas mourir de ce qui lui arrive ; ce serait encore trop doux.
Un chien qui disparaît dans une ville la nuit et c’est la fin d’un monde, celui de Mathieu. En déséquilibre sur le bitume avec ce vide du côté droit qui hurle une absence insoutenable. En passant les portes de la SPA, la retrouvera t’il ? Ultime soupçon d’un espoir fou. Sam tout comme nos animaux de compagnie qui ont un jour planté leur regard dans le nôtre, nous ouvre un monde mystérieux, fait d’ondes, de présence silencieuse et admirable. ‘CHERCHER SAM’ nous plonge la tête la première dans une quête rapide, ramassée dans le temps. La bande son donne le rythme, pour aller toujours plus vite et plus loin. Se retourner sur son passé n’est plus une option.
Ce précieux roman nous parle aussi du rôle du chien, tour à tour médiateur, pacificateur ; un thérapeute né sans le savoir. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des mots pour communiquer, le langage passe aussi par le corps, grâce à une intelligence de situation que les animaux ne cessent de nous démontrer et qui fascinent de plus en plus d’éthologues. Sam semble pardonner à son gardien ce que lui-même refuse de faire ; en disparaissant, elle lui intime l’ordre sourd de trouver le bon chemin, le bon itinéraire. Les animaux nous donnent leur confiance aveuglément, la lourde tâche qui nous revient nous humains est de ne jamais les décevoir, c’est bien là, la moindre des choses.