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« L’OURS – PETIT TRAITÉ HUMORISTIQUE À L’USAGE DES HUMAINS» est né de la rencontre entre Olivier Lavigne artiste illustrateur Ardéchois à l’humour potache, et l’explorateur Rémy Marion, spécialiste de l’ours polaire, auteur d’une vingtaine d’ouvrages n’ayant de cesse de communiquer sa passion et ses expériences au plus grand nombre. C’est l’émergence d’une telle rencontre entre un scientifique et un illustrateur qui donne à cet ouvrage surprenant et déroutant, cette patine rock’nroll écornant au passage de nombreuses idées reçues sur l’ours. Ouvrage très graphique, aux dessins esquissés à l’encre de Chine, il étonne par son ton singulier, humoristique, poétique, politique aussi, plaidant la cause de cet animal auquel Olivier Lavigne souhaiterait avant tout « qu’on fiche la paix ».
L’ours y est tour à tour jardinier, amoureux ou danseur. Il y apparait surtout comme un cousin dont on se ferait une fausse idée et qui gagne à être connu. Ce second opus de la Collection Mondes Graphiques révèle par le biais de textes iconoclastes, bienveillants ou parfois rageurs, tout ce que Rémy Marion connait de l’animal. Nous n’avons pas fini d’être étonnés. Nous avons toutes et tous au fond de notre enfance ou de nos tiroirs, un nounours qui aura veillé sur nous. Celui qui peluche de 1001 manières et que l’on ne se résoudra jamais à jeter, offert par des mains bien intentionnées le jour de notre venue au monde. S’en suit, un incroyable et indéfectible lien entre l’humain et l’animal. Mais le connait-on vraiment ?
Pour envisager une nouvelle alliance avec l’ours il faut le considérer avec bienveillance, curiosité, respect. Le carburant c’est la curiosité, la passion, le rêve qui produisent l’électricité, l’énergie renouvelable à l’infini : quand la pente est trop dure, le gros poilu (l’ours) descend pousser. Il nous accompagne depuis toujours, il était là à notre naissance. Maintenant sa force nourrit notre imaginaire pour que la curiosité et le rêve redonnent de quoi franchir l’obstacle. Ainsi débute cet ouvrage : on embarque avec nos 2 compères humains et un plantigrade dans une course échevelée à la connaissance. Façon Giacometti sur ses 2 pattes, ou alors galopant à une vitesse insoupçonnée , dans les forêts, ou sur les glaçons de banquise qu’il lui reste à fouler, l’animal fascine. Si il peut faire le plein de myrtilles et plus de 50 kgs de saumons quotidiens , il est également équipé d’un système digestif tel, qu’il resème derrière lui à tout vent. Un vrai roi de la permaculture !
Il y a pléthore d’ouvrage sur le plantigrade ou l’on dissèque son comportement, ses pratiques de vie: le parti pris ici est totalement réjouissant : convoquer une gouaille écrite et son franc parler tout en habitant des textes gorgés d’humour non sans parfois égratigner le système: remasterisé façon Manet pour un déjeuner sur l’herbe très stylé, ou emmailloté au fond d’une crèche à Bethléem, les dessins sont proprement hilarants ! On peut préférer la version ours ‘Tanguy’ collé à ses parents qu’il n’arrive pas à quitter, cela arrive aussi chez les ours, pas que chez l’homo erectus.
On dénombre 8 espèces d’ours ; chacune leur spécificité avec dans ce livre, un chapitre entier consacré à l’ours polaire : Rémy Marion en connait un rayon sur ce danseur de la banquise, témoin bouleversant du dérèglement climatique.Se faire traiter de grolar n’est point flatteur mais saviez-vous que l’individu grolar est un ours résultant de l’hybridation entre un ours polaire et un grizzli. Pour en savoir plus sur sa physiologie étonnante, des études sont en cours. L’ours -cette force tranquille- possède une adaptation certainement unique chez les mammifères, qui lui permet de sortir de 6 mois au fond d’une tanière, sans manger ni déféquer ne perdant que 10% de sa masse musculaire : les insuffisances rénales et cardiaques qu’il présente durant l’hiver, disparaissent à la sortie printanière. Mais comment fait-il ?
Les premières représentations de l’animal subjuguent : la grotte Chauvet en est un écrin sublime. Si dans la Rome Antique les ours étaient déjà jetés dans l’arène, aujourd’hui encore en Suède, en Inde, au Pakistan ou en Amérique du Nord l’organisation de combats entre ours et chien fait fureur. Ainsi vont les hommes, tous unis dans le déni de leur propre sauvagerie pour se compromettre dans des activités d’une rare barbarie. La gourmandise de l’ours n’est plus à démontrer et le long des chemins de Roumanie et de Slovénie il n’est pas rare de voir l’animal endormi dans les vapeurs éthyliques de prune et de patate, le marc fermenté des distillations pastorales faisant des ravages ! Le dessin de l’ours infiltré dans une colonie d’abeilles afin de voler leur miel, est irrésistible, décidemment cet ouvrage est renversant !
Pour dénoncer l’absurdité des zoos, les auteurs n’y vont pas par 4 chemins, le parti pris est clair, la guerre est déclarée. En Finlande ou au nord du Japon, les vitrines de supermarché regorgent de soupe de poudre à la viande d’ours. L’animal passe à la casserole et prend son visa pour le ciel parmi les étoiles de la Grande Ourse… On dit d’une personne taiseuse que c’est un ours mal léché mais quid de l’expression avoir ses ours dans la Grèce Antique , ou « faire l’ours » pour les catalans ? Il y en a des dictons paysans et des fêtes de saint ou l’ours revêt sa belle symbolique : on croise sa trace partout. Le prénom corse venu d’Italie, orsu ou orso est donné aux enfants pour les protéger du mauvais œil en les mettant sous la protection de la bête. L’ours serait-il un saint ? Olivier Lavigne et Rémy Marion s’en donnent à cœur joie.. et le lecteur en redemande. Des clins d’œil sur l’actualité combinés à des expressions populaires, régalent par le ton badin, moqueur , cynique. Pour petits et grands la lecture devient épopée burlesque dans un univers méconnu. L’homme entretient un rapport ambivalent avec son frère poilu. Ni tout mignon ni tout méchant il est mis en scène dans de nombreuses représentations imaginaires : dans des contes ou des dessins animés, pour souhaiter la bonne nuit aux petits et aux grands. Au tour de l’homme de veiller sur cet étonnant plantigrade blanc, brun, à lunettes ou collier, panda ou lippu.
Héros idéal des livres jeunesse il existe pourtant une dualité de l’ours. Baloo est désinvolte mais dans Boucle d’Or différentes versions hésitent : fera t’on manger la jeune fille ou sera-t-elle épargnée ? Jack London n’hésite pas à convoquer l’ours comme le symbole de la lutte des hommes confrontée à la sauvagerie de l’Alaska. Jim Harrison lui, voyait le plantigrade comme son animal de rêve. En plus d’habiter nos imaginaires et notre enfance, l’animal a balisé notre territoire : sa présence, les rencontres, une bonne chasse ou un accident jalonnent ce cheminement côte à côte depuis des millénaires. Les hommes ont saupoudré sur la carte du monde le nom de l’ours, comme un phare dans la nuit. A nous de le maintenir allumé.
Les textes sont tour à tour bienveillants ou imprégnés de coups de gueule et de coups de griffes, un tantinet rageur : l’ours se fait alors porte- parole de nos émotions, lui qui chemine dans notre imaginaire depuis la nuit des temps . Voilà un livre à mettre entre toutes les mains, ses dessins façon gravure en noir et en blanc détournent notre histoire culturelle et artistique et entremêlent pour notre plus grand bonheur de nombreuses références à l’actualité. A relire Emile Zola, le devoir le plus élevé de l’humain est de soustraire les animaux à la cruauté. A relire cet incontournable petit traité humoristique à l’usage des humains, notre mission la plus porteuse de sens, est de réapprendre la cohabitation avec le sauvage.