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Voilà un premier roman écrit à l’encre de feu, hypnotique, évoquant le pouvoir et la résignation, l’admiration et la haine, la poésie et l’indicible cruauté. Tout est imbriqué comme le sont 2 pieds de ronce, inséparables. Ne serait-ce pas grâce à la lumière que l’ombre existe ? Un jour de dimanche gris, c’est une partie de chasse qui s’engage dans la forêt : aucun être vivant humain ou non humain, ne se doute de ce qu’il adviendra dans les funestes et pourtant si glorieuses heures à venir. Gérald le chasseur engagé à la gâchette nerveuse, et son alter ego à poils, le chien Olaf, n’en peuvent plus de tout ce gibier : altérés tous 2 de sensations fortes avec ces biches et ces cerfs à portée de fusil qui subliment pour eux l’art de la conquête et du pouvoir.
Alan, le si discret garde forestier ne se lève le matin que dans une seule et unique perspective : veiller sur ses biches, incarnation d’une douceur inconnue pour lui, l’enfant abandonné. Ivre de son métier, il incarne à lui seul le rempart contre la barbarie. Linda, la rebelle meneuse de battue, n’en peut plus de sa vie moribonde et se verrait bien tout en haut de l’affiche des chasseurs, plutôt que des rabatteurs. Basile, l’enfant chasseur, en rêve aussi de la gloire, alors tous aux abris ! La biche cendrée elle, caracole le museau en l’air, frôlant les pâquerettes nourricières, la peur au ventre de ne pas avoir le temps de continuer à folâtrer parmi les siens. Le danger s’immisce derrière les arbres, elle le sent, elle le sait.
La forêt devient le théâtre magistral de ces luttes intestines, de ces conquêtes foudroyantes, hébergeant, nourrissant et défendant ses occupants. En ce dimanche de chasse, où la météo n’annonce rien de bon, une tempête approche. La battue avance telle un bataillon, la biche elle, se refuse le droit de ployer et de plier. Contrer le fatum n’est plus réservé aux humains ! Chacun avance ses pions sur l’échiquier de la peur, de la stratégie, de l’émoi, de la colère, de la fierté, de l’abandon, de la résignation. Jusqu’au drame. Les moments de bascule sont légion, qui de l’humain ou l’animal l’emportera ? Une ambiance de fin du monde se cristallise quand tout semble se précipiter. Tout l’art magistral de ce premier roman est porté par une plume aussi poétique que tranchante et sans pitié.
L’art du clair obscur est saisissant : la forêt bruisse et nous tremblons, les animaux se cabrent et se révoltent et nous frémissons, l’humain espère, croit, et lutte, et nous frissonnons de concert. Chaque être vivant semble arriver à un point de rupture lors de ce long dimanche qui n’en finit pas. Electrisés par un trop plein d’émotions rentrées ou enfouies, tous et toutes se révèlent. La forêt met le feu aux poudres de toutes les luttes et résiliences, en permettant la renaissance. Pour Alan, Gérald, la biche, ou Linda : la forêt est un indispensable sanctuaire. Seule leur façon d’y régner, diffère. Gérald le chasseur attendri devant l’inattendu spectacle de 2 cerfs entrêmelant leurs corps, se pose cette question, étonné de son propre attendrissement : ces cerfs il les vénère, pourquoi alors veut-on tuer ce que l’on dit aimer ? Ce roman une fois achevé, vous habite longuement : une plume d’oiseau sert à voler, la plume de Mona Messine sert à nous élever. Ce qui frappe et vous tient en haleine relève d’une immersion quasi olfactive voire animale. La forêt suspend son souffle et nous aussi.
« Les faons l’avaient ressenti : le silence puis le brui ;, quelques secondes leur cœur cessa de battre, statufiés par l’attente de savoir s’ils mourraient, ils oublièrent de jouer. Leur innocence réclamait que les chasseurs s’en aillent bien plus loin. Il suffirait d’un rien, d’un bref changement de stratégie pour qu’ils soient anéantis d’un seul coup ».
« Le zodiaque semblait avoir aligné les constellations dans un ordre qui promettait le chaos. La forêt tressaillait sous l’influence de Pluton. Au bout de cent heures de combat, museau biche contre chasseur qui vaincrait ? »
Ce premier roman « BICHE » fait partie des livres sélectionnés pour le prix littéraire 30 millions d’amis 2022 ainsi que pour le Prix Maya qui salue le plus beau roman animaliste de l’année. Vibrant et organique, s’appuyant sur une écriture affutée et ciselée ; il nous prend aux tripes comme à la gorge. Il vous cueille d’emblée encore abasourdi du pouvoir des mots pour explorer le tréfonds des âmes humaines et animales. C’est un conte écologique haletant aux ressorts de pur thriller qui nous plonge au cœur des hommes et des animaux, au sein même d’une Nature qui lorsqu’elle est en colère, ne laisse que peu de place à l’hésitation. Tout est en place, depuis toujours. L’homme parfois oublie que la forêt s’impose au-dessus de lui. C’est elle qui à la fin, décide de tout.