
POUR ÉCOUTER LA CHRONIQUE, C’EST ICI !
La science est longtemps restée un domaine très masculin, voire patriarcal. Une vision biaisée par des stéréotypes sociaux notamment influencés par la société victorienne avec les travaux de Darwin où la femme reste inféodée au mâle. La littérature scientifique a donc abondé dans ce sens en campant dans nos imaginaires des individus triomphants, forts et majestueux, face à des femelles passives, un peu ternes, voire fragiles. Jane Goodall a révolutionné ce monde étriqué en étant la première éthologue à aller sur le terrain, donnant des noms aux chimpanzés, mettant en lumière l’utilisation d’outils par les primates.
‘FORTES ET FLAMBOYANTES’ éclatant album jeunesse, s’empresse de déconstruire toutes nos idées reçues et nous parle d’héroïnes et de figures puissantes. Ses deux autrices nous avaient déjà régalé sur l’intelligence animale. De retour ici dans un format à l’italienne pour plonger notre regard dans chaque centimètre carré de poils, d’écailles, de fourrure et de plumes, l’immersion est immédiate, élégante et instructive.
LES FEMELLES ONT UN RÔLE CENTRAL
La nature raconte une tout autre histoire. Les découvertes modernes viennent nuancer le propos en révélant des facettes inattendues du rôle joué par la femelle. Elle est bien plus qu’une simple porteuse d’œufs ou mère nourricière ; elle est leader, fine stratège et innovatrice. Certaines chauves-souris, lièvres variables et palombes en imposent par leur gabarit. La hyène tachetée, plus agressive et plus massive, fait régner l’ordre dans le groupe. Elle domine la hiérarchie sociale et prend les décisions importantes pour le clan, capable de forger des alliances et de coordonner les actions du groupe. Un leadership basé sur la médiation et la coopération. Une démonstration vivante que l’union fait la force.
Sur la terre rouge d’Afrique, déambule avec nonchalance l’éléphante, la plus majestueuse des matriarches. La grand-mère assurant son autorité, prend des décisions stratégiques : chercher les branches les plus tendres ou les sources d’eau. Dans l’océan, une femelle orque de 40 ans peut devenir cheffe de clan avec les pleins pouvoirs pour transmettre les mécanismes de chasse. Dans les airs, un essaim d’abeilles est uniquement défendu par les ouvrières soldates, pendant que le mâle bâfre.
SOLIDAIRES POUR TOUJOURS
Elles sont fortes sans le savoir et la solidarité prime avant tout. Les communautés sont soudées comme chez les lionnes. Le rôle des mâles et des femelles semble plus complémentaire et moins conflictuel que chez nous : il n’y en a pas un qui passe son temps à vouloir asservir l’autre. Les chauves-souris sont un véritable modèle de sororité. Lorsque les insectes se raréfient ou qu’il fait trop chaud, certaines femelles s’auto-avortent pour assurer la survie du groupe et devenir les nourrices des petits sur le point de naître.
UNE SEXUALITÉ LIBÉRÉE ET AVEC CONSENTEMENT
De nombreuses femelles font preuve d’une grande liberté sexuelle. Elles choisissent activement leurs partenaires et peuvent refuser des accouplements non désirés. Certaines espèces ont même développé des adaptations anatomiques pour contrer les tentatives de coercition des mâles. Les femelles bonobo utilisent les relations sexuelles comme moyen de résolution des conflits tout en favorisant la cohésion sociale et la réduction des tensions au sein du groupe. Chez le rat-taupe nue, la reine a une mission un peu spéciale : se reproduire avec ses trois fils ! De quoi réjouir Œdipe. D’autres font des bébés toutes seules comme la lézarde à queue en fouet, du Mexique. Il n’y pas de mâle, disparu. Preuve d’une grande adaptabilité face aux défis environnementaux ; simple question de survie. Pour l’émeu, la maternité connaît pas ! Elle s’accouple, pond et s’en va. Maman solo par contre chez le grizzly, friande de faire appel aux copines pour élever ses oursons et devenir coparentes. Les dauphins organisent des systèmes de crèche pour garder les delphineaux alors que le bébé cachalot a droit à une nounou allaitante et est gardé en surface par une baby-sitter pendant que sa mère plonge dans les profondeurs abyssales pour aller chasser. Beaucoup de femelles peuvent se reproduire seules adoptant le processus de parthénogénèse comme pour le dragon de Komodo, les abeilles, pucerons ou fourmis.
Les animaux permettent de penser autrement des thématiques féministes, telles que le partage des tâches, la liberté sexuelle, les violences de genre, le consentement, la domination masculine, la distribution du pouvoir. On trouve les mêmes questions avec des réponses qui diffèrent du tout au tout selon les espèces.
WONDER WOMAN
Les femelles sont de super managers : de la transmission de la culture, à l’imprégnation d’intelligence émotionnelle, à la protection permissive ou restrictive, elles représentent un chaînon capital de l’évolution avec un pouvoir déterminant. Pour séduire une femelle, la puissance du mâle ne suffit pas. Couleurs du plumage, habileté, endurance, ingéniosité : il sert à la richesse génétique de l’espèce. Les femelles antilopes topi se livrent à des combats acharnés sous les yeux des mâles alanguis. La petite caille japonaise choisit son partenaire non pas s’il gagne, mais au contraire s’il perd un combat : elle cherche la douceur plutôt que l’éclat ! Le pouvoir, la force, la beauté, la tendresse, le célibat, la soumission, jusqu’à la procréation, aucun schéma ne s’apparente à un autre. La diversité se moque des seconds rôles et des préjugés. Et les animaux s’en fichent bien.
Les dessins hyper réalistes pleine page de cet ouvrage aux formes généreuses teintées d’un panel de couleurs douces, décrivent l’animal dans son propre environnement et toujours en mouvement. La veuve noire australienne se régale de feu son élu, la hyène bataille pour faire régner l’ordre, la grand-mère orque trace dans l’eau à la tête d’un clan très uni, le tatou à 9 bandes passe sa vie au ras du sol, les femelles lémuriens maki catta font la loi au-dessus de la canopée.
À LA POUBELLE LES IDÉES REÇUES !
Chez les suricates, hyènes ou certains singes les femelles sont beaucoup plus agressives qu’on ne le pense. On a aussi longtemps cru que seuls les oiseaux mâles savaient chanter. C’est faux ! Leur liberté sexuelle est aussi très affirmée : seuls 20% des œufs sont du couple d’oiseaux d’origine. La bisexualité est également beaucoup plus répandue.
Aujourd’hui, les animaux ne savent plus très bien où aller, comment se nourrir, comment éviter les prédateurs humains. Il est nécessaire d’être stratégique, de contracter des partenariats, de se méfier de l’ennemi, en s’adaptant aux circonstances… Donc oui, savoir sauver sa peau en tant que femelle requiert bien des talents. L’éthologie est devenue objective ; femelles leaders agressives et dominantes, mâles passifs, pères dévoués doux et calmes. Une nouvelle vision qui augure on l’espère, d’un regard plus égalitaire pour redonner à chaque individu ce qui lui appartient : sa liberté d’être. Une part d’intériorité restera peut-être éternellement mystérieuse et inaccessibles, et c’est bien mieux comme cela.
Wisdom est une femelle albatros de 74 ans qui continue de goûter aux joies de la maternité et a dernièrement donné naissance à son petit dernier sur l’archipel d’Hawaï. Modèle d’adaptabilité et mère courage, elle aura survécu au tsunami de 2011 et incarne la figure emblématique d’une espèce sur le point d’être exterminée par la chasse ou menacée par les filets de pêche, les collisions dans les airs et les lieux de nidification dégradés.
Considérée comme le plus vieil oiseau sauvage connu au monde, cette prouesse a suscité l’émerveillement des biologistes et du grand public. À la longue liste des qualificatifs de femelles du règne animal, on peut rajouter « résiliente » !