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Sur le terrain de la cause animale, les animaux de laboratoire restent des victimes silencieuses et ignorées du grand public. Une souffrance invisible que Audrey Jougla fondatrice de l’association ‘Animal Testing’, révèle à nos oreilles sidérées dans cet ouvrage engagé, courageux et intime porteur de témoignages totalement inédits. C’est sans le savoir que dans notre vie de tous les jours nous consommons un très large éventail de produits testés sur les animaux. Qu’il soit lapin, chat, souris, singe, chien ils payent un si funeste tribut. Chaque année en Europe, environ 12 millions d’animaux subissent des tests, un chiffre qui ne tend pas vers la baisse malgré une opposition citoyenne croissante et des scientifiques vantant la réduction des expériences. Cette réalité morcelée et complexe est un véritable puzzle aux allures de labyrinthe. La tendance est à la généralisation, on parle d’expérimentation animale pour les bienfaits de la recherche et de ses avancées. Mais cette appellation commune fausse le débat, le rendant caricatural et n’a rien à voir avec le kaléidoscope des réalités de terrain.
Défendre les animaux de laboratoire c’est se battre pour des êtres vivants non humains en profonde souffrance, invisibles du grand public au point de penser qu’ils n’existent pas. A Nantes où à Paris, dans les sous-sols de certains établissements, vous passez sans le savoir devant des animaleries ultra protégées blafardes, aseptisées, sans lumière du jour où singes comme chiens ne connaissent que prostration et douleur. En refermant ce livre, vous saurez.
Le lieu commun auquel s’attaque Audrey Jougla est ce sempiternel ‘mal nécessaire’ dégainé par le monde scientifique. Pour aborder ce vaste et complexe sujet, pour se défaire des clichés qui ont la vie dure et enquêter, glaner des témoignages, compiler des informations, la création de Animal Testing en 2016 prend alors tout son sens. Débute une véritable mission d’investigation, d’analyses de documents, de rencontres sur le terrain. Le débat est technique, complexe et houleux ; les années s’enchainent pour mieux fourbir ses armes contre les croche-pieds rhétoriques, les effets de manche de la partie adverse. Maîtriser le sujet est primordial pour être écouté. Beaucoup auraient tourné casaque devant tant d’obstacles.
Voici 4 fausses affirmations si souvent déballées sur les plateaux tv ou dans la presse : la recherche doit obligatoirement utiliser les animaux, ceux-ci viennent tous de la captivité, des méthodes substitutives au modèle animal existent dans tous les cas, leurs conditions d’hébergement sont appropriées à leurs besoins. L’information est généralement tronquée ; l’argument ne cherchant qu’à rassurer l’auditeur ou le lecteur pour enrayer tout soupçon de souffrance. Le combat est très inégal, la complexité du sujet empêche toute contradiction, les scientifiques ont l’avantage du langage. Pourtant avec cette même force ardente qui l’animera elle et son équipe, Audrey Jougla n’aura de cesse de pousser toujours plus loin le curseur pour révéler ce que l’on nous cache. Oui, des chats sont aussi utilisés pour des recherches sur le cerveau en banlieue parisienne, oui, des élevages ‘produisent’ des chiens porteurs de myopathie à la demande de laboratoires.
C’est aussi pour remédier à cette inflexible répartition des rôles – le scientifique sait car il est expert et le grand public écoute – que Animal Testing a vu le jour. Quand en 2016 elle dévoile son lot d’ images choquantes et brutales de chiens en grande souffrance financés par l’AFM Téléthon, c’est un public sidéré qui découvre les arcanes sombres de ce rendez-vous télévisé pourtant si médiatique. Les démentis adverses ne se font pas attendre concernant l’obligation réglementaire et incontournable de ces expériences sur les animaux. Faux ! rétorque Animal Testing, cette obligation concerne l’autorisation de mise sur le marché des médicaments, nullement la recherche. Ce scandale qui secouera le microcosme scientifique nimbé de son pouvoir, agitera aussi l’opinion publique : il faut savoir contenir la haine, mauvaise conseillère.
Enquêter sur les primates, observés par l’autrice elle-même infiltrée, sera une épreuve. Des macaques à longue queue, trépanés et coincés sur des chaises de contention entravant tout mouvement, ont une longue espérance de vie qui leur serait exquise en liberté mais qui, pour l’heure, les condamne à rester d’interminables annees enfermés. Parfois une dizaine. Pour les dresser, on les prive de nourriture : tout cela est bien loin des directives Européennes : ces pratiques dénoncées ici sont illégales et sans ces images, personne n’y aurait cru. Ce ne sont plus des individus à part entière, juste du matériel de laboratoire.
Malgré ces preuves implacables, le perdant reste le défenseur et bien sûr l’animal : quant à l’accusé, il n’est jamais tenu de fournir la moindre preuve inverse.Les images ne font pas tout ; ne saisissant que le visible, elles scandalisent plutôt que de faire raisonner. La question se pose : comment émouvoir et débattre en même temps ? Dans l’Union Européenne des comités d’éthique sont censés évaluer les projets ; leur fonctionnement est opaque et sans existence juridique. Le fameux principe des 3 R– Remplacer, Réduire, Raffiner- n’est qu’un écran de fumée quand on sait que 100% des projets soumis sont acceptés. En France l’encadrement fait appel à un nombre sidérant de comités, de groupes de travail, d’institutions censés s’occuper de l’application de la directive et du bien-être animal. Pour montrer que l’on agit on met en place des contrôles et des entretiens en visio. Le cynisme gagne la palme d’or. Ressentir la détresse, l’effroi, la solitude, la souffrance de toutes ces victimes par écran interposé n’est qu’une sombre farce. Les sanctions elles, restent minimes voire inexistantes.
La mission de Animal Testing est avant tout d’enquêter, de lever le voile sur des pratiques cruelles ; il ne s’agit pas de remettre en cause les bases de la biologie mais de dénoncer la façon dont les expériences sont menées. Jamais noms et lieux ne seront révélés malgré la pression de certains militants. Insidieusement un inquiétant halo sémantique fait son apparition : on parle de conditions d’hébergement pour des cages, de contrôles vétérinaires pour des inspections plus musclées, de militants anti-recherche animale pour des militants en faveur des droits des animaux. Face à une telle d’ébauche d’énergie adverse pour détourner le débat, ou le masquer, l’épuisement de l’équipe gagne du terrain.
Le constat ici est sans concessions et sans exagération, aussi clair qu’édifiant, nourri par des témoignages anonymes inédits : un chercheur, ou un directeur de recherche du CNRS évoquant des comités fermant les yeux, des lancements de protocoles qui pourraient être évités. La recherche ne se penche pas sur le grand gâchis des animaux ou la finalité de leur souffrance. C’est un fait, incontestable. Ces témoignages donnant la parole à des acteurs majeurs de l’expérimentation animale n’ont pas de prix. Et s’ils acceptent de parler c’est qu’ils jugent sérieux et légitime le travail colossal d’investigation de l’association. Des lanceurs d’alerte prennent leur courage à 2 mains pour libérer leur parole si longtemps muselée. A l’image de cette jeune femme dont la mission principale est de taper des lapereaux en surnombre sur des murs. Rien à voir avec sa formation édulcorée en amont : ici on brise des vies à la chaîne comme des allumettes. Sans plus penser. Pour les empêcher de dénoncer, leur hiérarchie veille au grain.
D’importants intérêts économiques ou commerciaux sont en jeu : un laboratoire de recherche ne vit que de ses publications et donc de ses expériences. La mise sur le marché de toujours plus de médicaments génère elle aussi, des vagues de souffrance continue. Sans parler des expériences redondantes ou des doublons. La culture scientifique ne sera jamais remise en question : pourtant tout cela n’a aucun rapport avec le soin et la guérison. Il s’agit plutôt d’intérêts particuliers et privés : l’animal n’est qu’un dommage collatéral, une éprouvette n’aurait pas moins de valeur.
Tous nos produits de consommation courante font l’objet d’expérimentation animale ; c’est un vertige qui nous saisit alors. Les produits ménagers en font partie. Nous sommes bien loin de la sacro-sainte recherche fondamentale pour des vaccins ou des traitements thérapeutiques ; la toxicologie deviendra le prochain cheval de bataille d’Animal Testing. C’est une enquête colossale et hautement technique d’une année qui débute alors. Autre témoignage choc d’un toxicologue : selon lui nous pourrions très bien nous passer d’animaux, il existe des méthodes de substitution. Mais ce n’est pas le cas pour des questions de défiance et surtout de mentalité. Quand nous achetons notre Monsieur Propre saveurs mandarine d’été, nous sommes bien loin d’imaginer que des lapins auront ce produit injecté dans les yeux pendant 72 heures et pendant 4 heures sur leur peau. Autant dire, un supplice.
Pour les cosmétiques, la composition d’un produit est obligatoire, pour les produits ménagers elle ne l’est pas. Notre méconnaissance des composants est flagrante. Ces animaux de laboratoire laissés pour compte tombent dans l’oubli. L’agence européenne des produits chimiques soutient qu’il ne s’agit que d’une toute petite portion d’animaux concernés… quand ce ne devrait être aucun. Une estimation parle de 200 000 animaux utilisés en toxicologie pour les produits chimiques. Des chiffres qui font froid dans le dos.
Pour sensibiliser le grand public, une grande campagne d’affichage choc sera placardée dans le métro parisien pour éveiller les consciences sur ce qui se trame derrière la fabrication de nos produits d’entretien. Impossible de ne pas la voir et de ne pas être interpellé. Un employé témoigne : le mal que l’on commet envers ces animaux et d’autant plus les singes, n’est jamais réparé, ni compensé. Le lourd tribut à payer dans l’expérimentation animale semble n’être jamais vraiment contrebalancé.
Alors de quelle manière la société peut-elle contribuer à un changement radical ? Le fameux ‘c’est nécessaire’, vulgaire expédient pour évacuer toute la charge émotionnelle du débat, ne doit plus exister. Certains chiens de laboratoire auront droit à une retraite, une infime minorité, moins de 1%. Une poignée de singes termineront leur vie à la Tanière refuge recueillant certains animaux de laboratoire. Les profits colossaux engendrés par l’industrie pourraient aussi contribuer directement et financièrement au bien-être animal. Faire bouger les mentalités, bouleverser nos habitudes d’achat, faciliter le remplacement des animaux par d’autres méthodes sont autant de défis technologiques, politiques, sociologiques.
L’horizon révèle quelques trouées prometteuses à des alternatives. Ces méthodes encore marginales sont essentielles et pourtant manquent cruellement de financements publics. Le combat de longue haleine portera timidement ses fruits avec la création en février 2023 d’un centre 3 R encourageant et finançant des alternatives. La pression de l’opinion publique est un facteur déterminant pour sortir de l’expérimentation animale. L’initiative citoyenne Européenne Save Cruelty Free Cosmetics sera validée en janvier 2023 par 1, 2 millions de signatures. Un exemple de démocratie participative qui souligne l’importance de la question aux yeux des citoyens en manque d’informations. Défendre les animaux de laboratoire n’a rien d’anodin, un réel défi pour la pensée et la philantropie aussi. Il est de notre devoir moral et de citoyen de porter la voix de tous ces animaux oubliés et invisibles. Leur donner une visibilité ne signifie pas oublier les humains, la science ne s’oppose pas à la culture, un militant ne s’oppose pas à la recherche : tant de pensées binaires qui faussent le débat.
Le message ici est sans appel à nous tous, consommacteurs : à chacun d’agir, à sa manière. Jane Goodall évoquait l’intelligence des choses, celle qui consiste à se poser les bonnes questions à chacun de nos achats. Suivons ces conseils. De là où ils sont dans le noir et l’asservissement, nul doute que ces animaux peuvent compter sur la détermination implacable de l’association qui au-delà des peurs, de l’intimidation sournoise, a su se faire entendre et respecter par les scientifiques et les journalistes. Son incontestable travail acharné a ouvert une brèche dans un univers ultra protégé où la souffrance de l’animal et la complexité du sujet en auraient rebuté plus d’un.
Certaines révélations sont assourdissantes, révoltantes et édifiantes : ne nous reste plus qu’à continuer de signer des pétitions officielles et à consommer de manière plus responsable en gardant en tête cette phrase qui nous enjoint de ne jamais baisser les bras‘ On raccourcit les rênes, et on y va !