Dans une ville au fin fond du désert argentin, une chienne et sa gardienne se sont adoptées, mutuellement, réciproquement. La philosophe Audrey Jougla et un petit chiot noir au fond d’un carton avec des oreilles en forme de couettes, ont fait connaissance. C’est une femelle, son nom sera Comédie. De leurs 13 années de vie commune, l’auteur saura  tirer des enseignements précieux  inculqués par sa chienne :  des principes qui nous manquent hélas cruellement à nous humains et qui sont partie intégrante de la belle âme des chiens. Une véritable leçon de vie puissante basée sur la philosophie.  Dans une vie qui va à 100 à l’heure  et qui bouscule, la si fidèle Comédie saura véhiculer  par son unique présence, la force, la résilience, un modèle de droiture et de bonté : un phare dans la nuit, un rempart face aux épreuves.

La première partie de « MONTAIGNE, KANT ET MON CHIEN » décrit la perception d’un nouveau monde : en effet, être responsable d’un chien c’est braquer la caméra sur une autre façon de considérer ce qui nous entoure. Il nous invite à revoir totalement notre mode de vie. L’engagement et la responsabilité sont revisités par Sartre, on affirme sa vie en s’engageant auprès d’un animal. Kant pointe du doigt notre insociable sociabilité :  voyager avec un chien révèle le meilleur comme le pire chez l’homme.

 La vie est un formidable recommencement pour ce fidèle compagnon à 4 pattes :  pour nous humains il semblerait que cela soit un poids. Le chien habitant une autre temporalité ne sera que joie et frénésie d’amour à refaire les mêmes choses avec vous : tout est recommencement et Bergson et Kierkegaard nous somment de nous en réjouir. Comédie ancre l’auteur dans ce qui est là, où l’on approfondit le « à peine regardé ». Se réapproprier le temps, reconquérir le réel autant de puissantes leçons de vie. 

Le repos a des vertus bienfaisantes et à relire  Pascal, nous fuyons, car nous ne souhaitons pas affronter qui  nous sommes. Comédie n’a pas besoin de contenance, elle est pour elle-même et par elle-même.  Si être épicurien nous invite à ordonner nos désirs et  à ne pas craindre la mort car c’est une peur irraisonnée, à elle seule Comédie incarne cette vérité en nous entrainant dans sa folle joie de gambader, en nous renvoyant à cet état perdu de l’enfance, en nous autorisant à jouer, de façon gratuite : pour elle l’heure de la promenade c’est toujours Noël ! Un pacte de reconnaissance et d’approbation  est alors passé avec chaque inconnu qui se voit déposer à ses pieds un bâton baveux ou une balle à moitié crevée. 

Comédie s’apparente à un émissaire de Freud, qui nous rappelle que enfant, poète ou chien ont un point commun : ils créent leur propre monde et s’en amusent. N’OUBLIE PAS DE JOUER, LA VIE PASSE SI VITE , voilà une belle injonction canine ! En caressant un chien, le geste s’ancre dans notre propre corps, notre propre habitude. Il apaise, réconforte, rassure. Il invite à se laisser aller à nos émotions. Les stoïciens font aussi partie de l’apprentissage : se saisir du monde plutôt que de le fuir, s’en emparer au lieu de l’esquiver.

« La vie est une fête, habille toi pour ça » disait Audrey Hepburn. Le jeu fait le quotidien d’un chien heureux, et nous humains semblons avoir perdu le sens de la fête.  Dans la seconde partie de l’ouvrage, Audrey Jougla offre un regard inédit sur la possibilité d’être plus vertueux. Vivre à propos, ce qui veut dire, vivre dans le présent : hic et nunc. Là encore, elle convoque Pascal, Sénèque ou Montaigne: la chienne ne se torture  pas du temps qui passe. Quand elle joue, elle joue. L’honnêteté avec soi-même et la constance : voilà de quoi réfléchir,car l’animal ne triche pas  et sa franchise est comme un miroir à nos masques que la société nous enjoint de porter., il transmet la réalité sans esbrouffe. 

Et si nous acceptions ce qui nous arrive et cultivions notre joie ? Ce qui selon Spinoza est une voie possible vers le bonheur. La fidélité est également une des grandes vertus du chien, dont la vie se superpose à celle de l’auteur. Le pardon libère, nous le savons: le chien remet toujours le compteur à zéro avec vous.  Cet amour inconditionnel qu’il nous porte, il le porte également à la vie. Par delà la mort, nous ne faisons que rendre ce qui nous a un jour été mis sur notre chemin de vie. Cela s’appelle l’art de perdre. Il est douloureux et essentiel de le maîtriser. Dans cet ouvrage tour à tour poignant, joyeux, évocateur, dense, rythmé, triste, mélancolique et bondissant, on imagine aisément une Comédie galoper à travers les pages de sa vie et de celle de sa gardienne. Ce livre fait beaucoup de bien, il oblige à repenser notre rapport au monde et au vivant: un petit précis de philosophie canine. En entremêlant le vécu et l’analyse psychologique, la lecture devient fluide, vivante, les images déboulent dans notre cerveau comme autant de pépites de lumières, de jappements, de grattages. 

Ce témoignage est aussi une façon de dire merci à Comédie, on se retourne et on embrasse toute la gratitude du monde en se rendant compte du privilège unique que nous avons eu à côtoyer ces belles âmes animales.  Grâce à cette Divine Comédie nous savourons ce que nous vivons, nous aimons la vie comme si nous devions la revivre indéfiniment. Quelle grandiose leçon de vie que voilà ! Nietzche n’a qu’à bien se tenir.

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