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C’est une immersion dans le vaste monde aquatique auquelle nous convie Camille Brunel sur la trace de la quasi mythique baleine, et plus généralement du peuple des cétacés. Il convoque la littérature et le cinéma, se documentant auprès d’éthologues, d’acousticiens, se révélant lui aussi de par ses rêves d’enfant, et nous invite à la découverte de ces magnifiques géants des mers à la quête et non la conquête de ces êtres dotés d’une intelligence émotionnelle avérée et supérieure à celle de l’humain : on se ratatine de honte quant au sort que l’homme inflige aux baleines, aux orques, aux cachalots et au dauphins.
Pour mieux rentrer en communion et en immersion émotionnelle, il décide de se livrer à une expérience peu banale de flotaison dans un caisson d’eau salée. S’échapper de son enveloppe d’humain et adopter l’apesanteur salvatrice des cétacés. La méditation peut alors commencer. Notre connaissance des animaux est balbutiante, qui plus est, celle de créatures passant 1/3 de leur temps à flirter avec les abysses. Leur va et vient entre l’air et l’eau en font des anges, des passeurs de mondes.
Le chant, le clic ou le sifflement, à chacun son cri de ralliement, son mode de perception et de scan. Nous sommes contemporains de géants et croisons des divinités qui étaient là bien avant nous. Oh my god ! 150 tonnes d’intelligence émotionnelle, 4 tonnes de langues, un souffle à 12 mètres pour décoiffer nos idées reçues et si réduites. Leurs vocalises sur 150 kms sont autant de particules de miracle. Un brumisateur divin. Une apparition cétacéenne est en soi une vraie cinégénie, entendez par là, que nous nous sentons touchés par la grâce quand « L’animal poursuit sa course, pour les spectateurs le monde vient de se retourner comme un gant, de révéler ses entrailles magnifiques, que la peau mouvante des flots recouvrait alors ».
Dans son premier roman furieusement et magistralement énervé « La Guérilla des Animaux » Camille Brunel prônait l’urgence activiste de se réveiller, dans les Métamorphoses son cynisme et son ironie mordante nous faisaient envisager l’altérité, le corps recouvert d’ailes où d’écailles . Cette fois ci, son éloge de la baleine résonne comme une indispensable apologie de la lenteur « Le ralenti des grands cétacés glissant à la surface nous rappelle à nos destins terrestres, notre rythme d’insectes agités, notre inéluctable respiration de souris paniquées, nées et mortes en un clin d’œil. S’il venait à l’idée des baleines de nous juger comme nous jugeons les animaux : elles nous trouveraient risibles. Voilà ce qu’elles dérobent en passant : notre impression d’être importants ».
C’est à mi-chemin de lecture qu’est dévoilée une partie plus intime et secrète de l’auteur, les profondeurs appellent les profondeurs ! Un enfant rêveur de 12 ans qui pour ne pas se contenter d’une vie terrestre un peu trop limitée, en imaginerait une autre, cachée, auréolée d’un mystère qui ressource, qui redonne l’espoir d’une richesse inviolable, dense et profonde.
Dans sa quête perpétuelle en kayak ou en bateau, à pied le long d’une plage et l’œil vissé au loin, tout est prétexte à vibrer en guettant le friselis de l’eau que le vent ride ; ou bien ne serait-ce point un jeune cachalot s’apprêtant à émerger ? L’altérité du sauvage nous rend vivant. En cela, l’intelligence animale est le symbole de ce qui nous dépasse et nous relie. Après cette apnée indispensable, Camille Brunel retrempe sa plume dans l’écrier de l’enfer en martelant les chiffres de la honte. S’il existe un moratoire de 1986 sur la chasse à baleines, les atrocités continuent et les anges gardiens de Sea Shepherd veillent au grain sur leurs frêles esquifs face aux baleiniers de sang : la volonté d’acier des activistes fera le reste .
L’être humain saura t’il sauver tout ce qui n’est pas lui ? Les carnages perpétrés contre les cétacés déciment des familles entières. Pour un bjiou, un steak ou un peu d’huile. Au moins 35 pays commettent ces meurtres. On estime à 300 000 le nombre de victimes par an. Le danger pour les baleines, orques, dauphins vient des pêcheurs, du pétrole, des skippers, et des militaires. Une girouette apocalyptique. Une spécialiste en neuro sciences cétacéennes explique que le siège de nos émotions – le néocortex- est plus développé chez les orques que chez les humains. Le siège de la conscience et du traitement des idées.
Les émotions du dauphin prennent quant à elles, une place plus importante dans leur processus de pensée. Que l’on ait pu nier que les animaux aient une âme est une injustice absolue. L’auteur qui a fait de la question animale son cheval de bataille, déroule le fil rouge de son argumentaire. Aborder les cétacés non plus en tant qu’espèce et ressources mais bien en tant qu’individus. Nous sommes leurs cauchemars, ils sont notre émerveillement. Pour changer le cours des choses, il faudrait enfin penser en terme de justice plutôt qu’en terme d’écologie. Camille Brunel n’aura de cesse de nous délivrer ce message à travers tous ces ouvrages : notre rapport aux animaux doit changer. Nous avons tant à nous faire pardonner. Il faut se focaliser non sur les droits des animaux, ce qui ne semble guère fonctionner, mais plutôt sur nos OBLIGATIONS concrètes à leur égard.
Ce n’est pas un vain attendrissement que d’évoquer tous ces outrages à l’encontre de créatures à l’intelligence et à la douceur vertigineuses. Mais après tout, se demande l’auteur, est-il si nécessaire de connaître leur psyché, ils sont nos frères et nos sœurs. A quoi sert de sonder ce que nous connaissons déjà de nous. Cet essai romancé de Camille Brunel a des allures de petit traité d’éthologie ardent et poétique à la fois. Sa plume est matinée de feu et de tendresse pour nous alerter sur notre perception du vivant.
A travers l’éloge de la baleine, un très bel hommage vient d’être rendu à ces milliards d’individus qui peuplent les fonds des mers. Que l’auteur en soit remercié par des milliers de clics. A l’heure où vous entendez cette chronique, aux Iles Féroes un nouveau massacre a vu 61 âmes de dauphins charcutées en rouge de sang, rouge de honte.
En même temps, de l’autre côté de la planète dans le port de Sébastopol en Crimée, les Russes entraîneraient des dauphins pour surveiller le fond des mers, contre une hypothétique présence Ukrainienne. L’homme ne sait décidemment pas ce qu’il veut… De Melville à Jules Verne, de Michelet à Jane Goodall, du film Orca à l’Odyssée de Pi, Camille Brunel virevolte et tisse des passerelles captivantes où affleure la délicatesse des nageoires, où s’invite une exquise admiration pour ces cétacés capables d’extrême empathie et de pardon.
L’auteur évoque un nouveau christ qui aurait l’allure d’un delphinidé. Les clans d’orque de Gibraltar qui luttent pour leur survie, crevant de faim et de soif, seront-ils toujours aussi indulgents avec l’humain qui les prive de tout ? « L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains. Il parle à la terre, au rivage, Il s’adresse à l’homme surtout. Il en a la vivante éloquence ; c’est la vie qui parle à la vie. » Tentons de ne jamais l’oublier. Et plongez-vous dans ce livre, peut être l’un des plus personnels de l’auteur. Vous verrez, les abysses sont incroyablement chaleureuses.