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Skippy est un wallaby qui en a gros sur le cœur. Dans ce récit percutant et jubilatoire Antoine Philias lui donne l’occasion rêvée de se défouler ! En prenant la parole à la première personne, il déroule tout ce qu’il pense des zoos, de Thoiry, des chasseurs ou des Nac n’ayant pas la langue dans sa poche pour retracer à travers les siècles, la relation entre l’humain exploiteur et l’animal exploité. L’ouvrage en lice pour le Prix Maya 2026 est une vraie claque. Le ton grinçant, caustique et désenchanté mène la danse, efficace comme un uppercut avec des passages rythmés et effrénés, écrits comme dans l’urgence de dénoncer.
Le marsupial nous embarque dans une saga familiale au travers de 20 chapitres courts, intenses et saccadés. Nous avons dézingué le peuple animal. Le constat est sans appel. En refermant le livre, l’accablement devient notre ombre : il nous suit partout. Comment avons-nous pu laisser-faire ? Dans toute tragédie, l’humour dévastateur est comme une bouée de sauvetage, on la prend et on ne la lâche plus… la mise en lumière de nos contradictions et de notre aveuglement est implacable.
C’est sur la côte Est australe que les premiers wallabies voient le jour, gambadant libres, parmi d’ odorants eucalyptus et palmiers, véritables nichoirs à bobongs, papillons nocturnes aux ailes brunes. Ils sont les cousins des kangourous, opossums et koalas. Alors que le colibri zinzinule et que la panthère feule, le wallaby lui, tousse. Au bout de neuf mois dans sa poche, le petit sort, et doit rapidement se hisser en altitude pour choper une tétine sinon c’est la mort assurée. Un début difficile.
QUI ES-TU, TOI HUMAIN ?
Notre narrateur aux cuisses musclées se pose en spectateur pour mieux nous scanne. Ces bipèdes peu poilus qui passent leur temps à parler à un morceau de plastique carré dans les mains ont les chevilles souvent recouvertes de coton blanc, avec du plastique sombre devant les yeux face au soleil ? Impressionnants debout et plutôt insignifiants assis. Il s’interroge sur la femelle humaine qui l’adoptera comme NAC : « Je ne saurais vous dire pourquoi ses ongles sont si longs, ne l’ayant jamais vu gratter la terre ».
PRESSÉS, VOUS NOUS ÉTEIGNEZ
De tout temps et à travers le globe, les animaux ont été arrachés à leurs terres pour assouvir nos fantasmes d’exotisme. Jumbo l’éléphant capturé dans la savane sera envoyé au Jardin des Plantes de Paris, puis au zoo de Londres pour terminer son calvaire de pachyderme magnifique sous les roues d’un train lors d’une parade en Ontario. Son cousin Fritz capturé en Asie exploité par le Cirque Barnum sera étranglé à Tours jugé trop agressif ; son agonie durera 3 heures. L’animal prodige doublure de Rintintin, est mort d’épuisement . Alors que Jackie, lion mascotte des studios MGM , survit à un tremblement de terre, une explosion, un naufrage, deux accidents de train, un crash d’avion. Mais pas à une crise cardiaque; sa belle fourrure se réincarnera en tapis.
De Sydney à Bâle au parc du Zolli là où il est coutume de donner des calmants au flamants rose pour les empêcher de s’envoler, l’existence est morne pour les aïeux de Skippy. Ils seront transférés vers les Yvelines, dans la mal nommée réserve qui n’a de SAUVAGE que le nom ; on collectionne et expose bien plus que l’on ne préserve la vie des animaux. Lors d’une tempête, sa famille s’échappe direction Rambouillet, à l’abri des grands chênes protecteurs. Le bonheur est un bond sans limitation. Au parc de Thoiry les nandous se shootent aux gaz d’échappement pendant que l’étang artificiel des manchots se dessèche. On pouvait à l’époque lire sur le livret remis à l’accueil des visiteurs : (…) « Ne pas prêter aux animaux des émotions comme la tristesse ou l’ennui qui sont en fait des sentiments humains ». Bien, ce n’est donc pas le spleen qui éteint le regard de ce bel ours, mais juste la faim. Personne n’est à l’abri à Thoiry, pas même Vince, puissant rhinocéros de 21 ans abattu de trois balles dans la tête en 2017 par deux braconniers avides de corne.
C’est en 2006 que Skippy voit le jour dans un refuge animalier à la Queue-les-Yvelines. Devenu NAC son nom sera désormais Kangou, relégué dans un cabanon obscur. Il attend un miracle. Viendra-t-il sous forme de tempête ? Pour comprendre la vie tumultueuse de l’animal écoutons notre narrateur parler de son père, ce héros qui :
« (…) a survécu à l’abri des chênes, esquivé les bolides de la D150, squatté les bosquets de l’Ibis Rambouillet, gambadé entre les juments du haras de la Clairière, élu domicile sur les ruines du prieuré des Moulineaux, été photographié par les invités d’un mariage à la salle des fêtes de Poigny-la-Forêt, perdu un morceau de peau à cause d’un piège à renards et reçu la balle d’un chasseur qui, plutôt que de l’achever, a décidé dans un élan de bonté de le confier au vétérinaire de Montfort-L’Amaury ».
Petit, l’auteur avait pour compagnons de vie, Rouquin, Minouche, Picota, Nietzche et Hazel. Autant d’interactions qui tisseront le fil rouge de son attachement à toutes les bêtes. Son héros à grandes pattes nous bouscule. « J’ai emprunté vos mots, laissez-moi accaparer vos sentiments ». Mission réussie avec ce condensé choc de révolte et qui sans concession, fait état de notre domination sur le monde animal sauvage pour mieux le chasser, l’enfermer et le détruire.
À travers l’histoire vraie des wallabies des Yvelines, l’animal règle son compte à l’humanité. Incisif et acide, le sens de la narration d’Antoine Philias s’apparente à de l’orfèvrerie. « Du fond stylisé, du style qui pense ». Une lecture qui bouscule et ne laissera personne indifférent.
« Auprès de vous le calme ne dure jamais. J’aurais dû rester dans ma poche » murmure Skippy.
Il aura en tout cas bien fait de sortir pour réveiller nos consciences endormies.